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Les plagiaires vicieux

Les thèses constituées d'emprunts à 75 % ou 99 % ne constituent cependant que la pointe de l'iceberg.

Publié le 19 novembre 2010 à 12h22, modifié le 19 novembre 2010 à 12h22 Temps de Lecture 5 min.

Dans un chat avec Jean-Noël Darde, maître de conférences en sciences de l'information à Paris-VIII, les lecteurs du Monde s'étonnaient d'apprendre qu'il n'est pas rare que des thésards, voire des universitaires plus gradés, aient le culot de plagier entièrement d'autres travaux, passés inaperçus, ou, mieux encore, rédigés dans une autre langue. Jean-Noël Darde ne faisait pas mystère du peu de chances pour le plagié de voir la justice immanente réparer le préjudice. Il arrive bien que des années après, le forfait soit découvert, entraînant la mise au ban du plagiaire, ou qu'à l'issue d'une véritable odyssée dans les arcanes des tribunaux, son bien lui soit rendu.

Les thèses constituées d'emprunts à 75 % ou 99 % ne constituent cependant que la pointe de l'iceberg, et sont souvent le fait d'idiots patentés. C'est dire l'étendue du phénomène sous les formes plus communes à travers lesquelles on le rencontre. Les plagiaires vicieux sont légion dans les sciences sociales et les humanités, dans la mesure où il est plus facile de dissimuler une idée dans un jargon qu'il n'est possible de travestir une équation. Tous procèdent des façons suivantes :

1- Le plagiaire reformule sournoisement. La série de mots n'est pas exactement la même, et avec beaucoup de mauvaise volonté, des améliorations viendront par la suite pour effacer toute trace du forfait originel.

2- Le plagiaire cite les auteurs qu'il pille, mais sur des aspects mineurs de leurs travaux, pour mieux s'approprier l'essentiel de leur pensée. Plus louvoyant encore, le plagiaire aguerri se réfère abondamment à l'auteur qu'il détrousse de sorte à saucissonner ses idées, alors que c'est sur sa démonstration générale qu'il a jeté son dévolu. Personne ne pourra lui reprocher d'avoir oublié des guillemets.

3- Le plagiaire déforme ou caricature les vues des auteurs qu'il dévalise pour ensuite apporter les rectifications qui lui paraissent nécessaires, rectifications qui correspondent en réalité à la véritable pensée du ou des auteurs cités. Au pire, le plagiaire sera accusé d'avoir mal compris l'œuvre à laquelle il faisait référence.

4- Une fois les premiers pillages passés comme une lettre à la poste, le plagiaire pourra tout à fait tranquillement renvoyer dans ses articles à venir à ses précédents travaux, sans même faire mention du ou des auteurs qu'il a habilement dépossédés de leur bien, puisqu'il est entendu que ces nouveaux travaux s'inscrivent dans une œuvre, et qu'on ne saurait citer dans chaque nouvel article ou livre la liste infinie des auteurs avec lesquels on "dialogue".

Il existe sans doute une réelle volonté de la part de nombreux présidents d'université et directeurs de programmes de recherche d'imposer des critères d'honnêteté drastiques au sein de leurs institutions. Hélas, ils sont desservis par une foi naïve dans les logiciels anti-plagiat, qui certes ont dissuadé de nombreux étudiants de premier cycle de copier-coller tous azimuts les fiches techniques, notes de lecture ou exposés de leurs prédécesseurs, mais ne pourront jamais repérer les fraudes plus sophistiquées. Non seulement ces logiciels ont favorisé l'apprentissage du plagiat vicieux, mais ils ont aussi dédouané de leurs responsabilités des universitaires dont les mœurs font mauvais ménage avec la volonté politique d'une partie des autorités universitaires.

Tout d'abord, le monde universitaire est divisé en fiefs. Derrière les discours idéalistes, les directeurs d'études ne sont pas prêts à faire des cadeaux à leurs ennemis, et protègent leurs ouailles s'il y a péril en la demeure.

REVENIR À UNE CERTAINE FORME DE PRAGMATISME

Ensuite, le milieu universitaire français reste marqué par les mœurs aristocratiques : le mépris demeure la meilleure des réponses face à la malhonnêteté intellectuelle d'un pair. Tout au plus glissera-t-on un sous-entendu obscur dans un compte-rendu de lecture, que seuls les initiés comprendront. A moins que le litige ne dégénère en polémique, ce qui aura pour résultat d'éloigner la perspective d'un arbitrage institutionnel. Le tout finira en guerre de réputations. A l'autre extrémité, quelle équipe enseignante, outre les mises en garde d'usage à grand renfort d'allusions à de nouveaux logiciels mis au point par des Suédois au nom imprononçable, cueillerait à froid les étudiants nouveaux-venus en leur parlant des ficelles illusoires du plagiat ?

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Enfin, trop de directeurs de recherche acceptent d'encadrer des travaux sur des sujets qu'ils connaissent mal. Même s'ils ignorent tout du pays, de la région ou du groupe sur lequel portera la future thèse, ils estiment que le projet qui leur est présenté converge sur d'autres points avec des thèmes de recherche qui leurs sont chers. Dans le meilleur des cas, ils sont sincères, si ce n'est qu'ils seront incapables de reconnaître les ouvrages méconnus plagiés par leur étudiant, surtout s'ils sont par ailleurs complètement mobilisés par leurs propres travaux. Dans le pire des cas, leur surmenage intellectuel est le symptôme de nouvelles mœurs universitaires. De nombreux chercheurs semblent en effet aspirés par le modèle du "buzz", et se rassurent en comptant chaque jour leur nombre de brebis. Non contents de prendre part aux luttes de pouvoir traditionnelles qui définissent le champ universitaire (travailler à leur propre renommée dans le monde de la recherche, contrôler un département, une revue, une collection, des prébendes de toute sorte), ils semblent s'être convaincus que le front s'est déplacé vers le nombre de "résultats de recherche" sur google, en attendant les "j'aime" sur Facebook.

En conclusion, rien ne peut remplacer, en amont du flagrant-délit de plagiat, l'effort éthique du personnel enseignant, de façon à ce que l'appel gênant à un comité d'experts pour trancher un cas de plagiat, dans un cadre institutionnalisé, ne s'impose qu'en dernier recours. C'est ce qui a été accompli dans les universités américaines au tournant des années 1990. En France, cet effort éthique consisterait d'abord à revenir à une certaine forme de pragmatisme (ni aristocrates, ni candidats à "La Nouvelle Star" ) et ensuite à rappeler aux plagiaires vicieux qu'ils se trompent de carrière. S'ils sont dévorés par l'ambition, ils risquent, à défaut de "buzz", de ne trouver sur leur chemin que le graal du chercheur : une reconnaissance jamais acquise, les querelles de chapelle et les règlements de compte à n'en plus finir à coups de publications confidentielles. Sans oublier le monocle et la pipe de Saint Claude en cadeau de départ à la retraite.

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