Trafic de stupéfiants : Robert Dawes, le «Drug Lord», jugé à Paris

Commanditaire présumé de l’importation de 1,3 tonne de cocaïne saisie à Roissy en 2013, le Britannique Robert Dawes, 46 ans, est jugé à partir de ce lundi à Paris avec cinq autres accusés.

 Robert Dawes est réputé être l’un des plus gros narcotrafiquants d’Europe.
Robert Dawes est réputé être l’un des plus gros narcotrafiquants d’Europe. DR

    La cour d'assises de Paris ne connaît pas seulement des crimes terroristes. Elle est également compétente pour des affaires de trafics de stupéfiants en bande organisée. Ainsi du tentaculaire dossier de stups jugé à partir de lundi et jusqu'au 21 décembre. Six hommes, trois Italiens et trois Britanniques, membres présumés, à divers échelons, de réseaux criminels organisant les flux de la drogue entre Amérique latine et Europe, répondent de l'importation par avion de 1,3 tonne de cocaïne du Venezuela en France à l'automne 2013. Une opération dont le Britannique Robert Dawes, 46 ans, surnommé Outre-manche le « drug lord », serait le maître d'œuvre - ce qu'il nie.

    Des valises enregistrées au nom de passagers fantômes

    Vol Caracas-Paris AF435. Ce 11 septembre 2013, les policiers de l'Office central de répression du trafic illicite de stupéfiants (OCTRIS) sont sur les dents. Selon des renseignements provenus du Venezuela deux mois auparavant, l'avion, qui doit atterrir vers 10h30, contient une grosse quantité de cocaïne destinée à approvisionner divers réseaux européens – une opération d'importation qui serait gérée par une organisation britannique. A l'arrivée, via un informateur, les enquêteurs récupèrent le téléphone portable d'un bagagiste complice. Un conteneur attire leur attention : les valises sont enregistrées au nom de passagers fantômes…

    A l'intérieur de ces mallettes en surnombre : 1 221 pains de cocaïne d'un poids total de 1 332 kg et d'une valeur marchande atteignant 50 millions d'euros. Les analyses démontreront un pourcentage de cocaïne en majorité supérieur à 70 %. Pour l'heure, sous l'égide de la JIRS (juridiction interrégionale spécialisée) de Paris, une procédure d'infiltration débute : quatre agents, Sergio, Wong, Boris et Dany, sont à la manœuvre pour tenter de confondre ceux qui viendront récupérer la marchandise. Deux appels plus tard, un premier rendez-vous est pris sous la tour Eiffel. Un certain Marcus se pointe. Il explique vouloir une livraison en quatre fois, par lots de 300 kg, conditionnés dans des cartons posés sur une palette filmée.

    Lors des rendez-vous suivants, fixés grâce à un téléphone sécurisé doté de la technologie de cryptage PGP (« pretty good privacy ») que Marcus a confié à Sergio, deux autres hommes participent aux discussions. Ils se présentent comme « responsables du transport et du conditionnement de la cocaïne. » Leurs exigences – des pains placés sous vide, des transpalettes, du répulsif pour chien… – conduisent les « policiers » à louer un entrepôt sous couverture à Rungis (Val-de-Marne).

    Le 20 septembre, les 300 kg de cocaïne sont prêts et la cargaison, dissimulée au milieu de cartons de haricots verts surgelés, chargée dans un camion. Le soir même, le véhicule, destiné à rallier Naples par ferroutage, est intercepté à la frontière franco-allemande. Son chauffeur italien, Marco Panetta, arrêté.

    À Madrid avec des membres d'un cartel colombien

    Dans la foulée, Marcus, identifié comme le Britannique Nathan Wheat, et Kane Price, un de ses compatriotes repéré lors des surveillances, ainsi que deux logisticiens présumés, les Italiens Vincenzo Aprea et Carmine Russo, sont également interpellés. Selon les informations que les polices italienne et espagnole transmettront, Aprea, simple vendeur de blousons sur les marchés à la ville serait le pivot du réseau de l'un des clans de la Camorra (la mafia napolitaine) en Espagne.

    Entre-temps, la traque du commanditaire de l'opération coke de Roissy se poursuit. Elle se fonde sur une coopération décisive avec les autorités espagnoles et britanniques. Selon celles-ci, Wheat serait l'« un des hommes de confiance » de Robert Dawes, un Britannique d'une quarantaine d'années considéré comme une « figure majeure du trafic international de stupéfiant ». Wheat s'est rendu au Venezuela en avril 2013 avec l'un des associés du réputé « Drug Lord » et des surveillances attestent qu'il l'a rencontré mi-juillet 2013 à Malaga, où il réside.

    Le 24 septembre 2014, dans un hôtel de luxe madrilène, Robert Dawes parle business avec deux Colombiens, dont l'un serait lié au cartel de Cali. Il ignore qu'il est filmé et enregistré par la Guardia civil. Il vante la maîtrise de son commerce – routes maritimes et circuits de fret, techniques d'importation variées, relais dans les ports d'Europe, commission de 30 %… Puis il tient des propos qui collent à l'affaire de Roissy, pas peu fier malgré la saisie et les arrestations qui ont suivi à Paris et à Caracas : « Tu sais, au Venezuela, la grande histoire que j'ai fait là-bas, j'ai fait 1 200 dans les mallettes, tu as vu la chose dans la presse, c'est l'un des travaux les plus grands qu'ils ont fait là-bas à Paris, depuis le Venezuela… »

    Fin de course pour Dawes à Malaga

    Un an plus tard, sur commission rogatoire, Dawes est interpellé chez lui près de Malaga et transféré en France. Dans sa villa, outre une flotte de téléphones PGP analogues à celui utilisé à Paris par Nathan Wheat, ont été retrouvés deux répertoires : la liste de ses contacts couvrait les cinq continents.

    Durant toute l'instruction, Dawes clame son innocence et nie être le propriétaire de la tonne de cocaïne saisie. Pour l'accusation, étayée par les rapports des polices européennes, Robert Dawes était bel et bien « devenu un rouage majeur dans l'importation en Europe de drogue via l'Afrique et l'Amérique du Sud ». Sa défense, qui a diffusé un communiqué vendredi, rappelle que « tout qui concerne (leur client) provient d'une procédure espagnole dans laquelle il n'a pas été mis en examen et encore moins condamné ». « Un dossier pénal ne se bâtit pas sur des rumeurs qui relèvent du roman noir et des éléments tronqués », entendent démontrer Mes Nogueras, Vigier et Cohen-Sabban.

    Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, après la saisie de cocaïne, le 21 septembre 2013./AFP/Kenzo Tribouillard
    Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, après la saisie de cocaïne, le 21 septembre 2013./AFP/Kenzo Tribouillard DR

    Des accusés trahis par leurs goûts de luxe

    Hormis le chauffeur du camion, qui n'en portait pas, les accusés ont un point commun : le goût des montres de luxe. Un « apanage des trafiquants d'envergure », estime l'accusation, qui relève qu'un tiers des pains de cocaïne saisis à Roissy arboraient le logo d'un célèbre fabriquant horloger genevois !

    Interrogés sur la provenance de ces ornements ne correspondant guère à leurs professions (prof de gym, manutentionnaire dans le bâtiment, vendeur sur les marchés, gérant d'une concession automobile…), les intéressés (hors Dawes) ont assuré qu'il s'agissait d'imitation, de prêt ou de cadeaux.

    Sur le fond, durant l'instruction, les deux Italiens, Carmine Russo et Vincenzo Aprea, 50 ans, ont affirmé qu'ils pensaient participer à un travail de « chargement de produits de contrebande ». Le Britannique Nathan Wheat, 35 ans, a fait valoir son droit au silence, avancé ses craintes de représailles, avant de plaider un rôle de « simple exécutant ». Il a dédouané son compatriote Kane Price, 31 ans – remis en liberté, celui-ci a plus tard été interpellé à Nottingham dans une affaire d'héroïne. Quant à Marco Panetta le routier, 45 ans, il a expliqué avoir accepté ce transport de drogue payé 20 000 euros pour régler une dette personnelle.

    Un informateur bien connu derrière la saisie ?

    L’ancien patron des Stups François Thierry doit venir témoigner au procès de Dawes et consorts./LP/Olivier Lejeune
    L’ancien patron des Stups François Thierry doit venir témoigner au procès de Dawes et consorts./LP/Olivier Lejeune DR

    L'affaire s'inscrit « dans cette phase un peu particulière gérée par l'ancien patron des stups », confie un connaisseur du dossier. L'allusion au commissaire François Thierry, alors à la tête de l'Office central pour la répression du trafic illégal de stupéfiants (OCTRIS) et depuis dans la tourmente, est claire. L'ancien patron des Stups doit venir témoigner au procès de Dawes et consorts – la date de son audition sera connue lundi. Une autre source, rôdé à ces dossiers de trafics de drogue transcontinentaux, analyse cette saisie colossale de l'automne 2013 comme le résultat d'une trahison : « L'opération a été vendue ». Par qui?

    Une note confidentielle de l'office des Stups figurant au dossier de l'affaire des 7 tonnes de cannabis saisies par la douane en 2015 à Paris mentionne - sous son numéro de source - l'informateur Sofiane Hambli comme ayant « permis directement la saisie de 1,4 tonne de cocaïne ». Est-ce l'affaire de Roissy, alors que le trafiquant mulhousien était à l'époque incarcéré ?

    La défense de Robert Dawes, constituée de Mes Xavier Nogueras, Joseph Cohen-Sabban (ex avocat de Hambli) et Hugues Vigier (son actuel), a-t-elle vraiment intérêt à le savoir, puisque leur client nie ? A l'heure de cette parution, Sofiane Hambli n'était en tous cas pas cité comme témoin au procès.