1 Légalisation contrôlée,

l’exemple du cannabis


Ni prohibition, ni dépénalisation, ni « cannabusiness »

Considérer le désastre sociétal qu’entrainent la prohibition et sa répression c’est aussitôt opter pour la légalisation contrôlée. C’est également refuser clairement la dépénalisation du simple usage et la libéralisation mercantile du cannabis à la hollandaise ou dans certains états américains.

Reprenons le lucide constat et les objectifs définis depuis les années 80 par le Mouvement de Légalisation Contrôlée animé par l’avocat Francis Caballero. Inscrivons la légalisation contrôlée dans une perspective sociale globale de démocratie vivante et de république nouvelle.


L’échec de la prohibition

L’échec des politiques du tout prohibitionniste et du tout répressif en matière de stupéfiants renforce le commerce illégal, développe les économies parallèles, enrichit les mafias, transforme l’usager en délinquant, augmente la délinquance et la criminalité, alimente le terrorisme international, islamique en particulier, provoque l’engorgement des tribunaux et la surpopulation carcérale, favorise les consommations de produits illicites, met en danger la santé publique et les libertés individuelles. Insistons sur l’illusion de ceux qui prétendent lutter contre le terrorisme sans préconiser la légalisation contrôlée afin de casser le marché clandestin qui finance le terrorisme.

La France est le pays européen aux lois les plus répressives mais les Français sont les premiers consommateurs de cannabis en Europe : 5 millions de consommateurs annuels de cannabis dont 1,4 million de consommateurs réguliers au moins dix fois par mois et 900 000 usagers quotidiens. Chez les adolescents, en trois ans, de 2011 à 2014, la proportion de ceux qui ont expérimenté le cannabis est passée de 44 % à 49,8 % pour les garçons, et de 38,9 % à 45,8 % pour les filles. La consommation des mineurs est en France deux fois supérieure à la moyenne européenne.

La prohibition entretient et démultiplie les consommations. Exemple d’un jeune qui achète trois barrettes, en garde une pour sa consommation personnelle et revend les deux autres. Sa barrette gratuite, il trouve deux clients, éventuellement nouveaux consommateurs qui en font autant. Le sens du commerce de notre jeune débrouillard le transforme en « délinquant » en contact avec des fournisseurs plus gros que lui et qui traînent dans d’autres combines. Il est devenu un « trafiquant », un représentant du cannabis… En huit jours si chaque jeune, touché par l’effet boule de neige, fume deux joints, ce sont plus de cent de ses camarades devenus « trafiquants », alimentant le marché maffieux. L’appât du gain et de la gratuité pour sa consommation personnelle, la fascination pour le produit auréolé de son interdit et le franchissement facile de ces interdits, la débrouillardise, la complice camaraderie, le mimétisme jeune contre la société, les plus âgés et les institutions, la sensation de virilité, tout concourt à développer la consommation. Ce sont là les effets pervers de la prohibition et de sa répression impuissante. Avec la prohibition, l’ampleur et l’augmentation permanente du trafic illicite ont des effets dévastateurs :


Désastre économique

Les liens entre le trafic de substances illicites et d’autres activités criminelles organisées, comme le trafic d’armes et le terrorisme, menacent la stabilité, la sécurité et la souveraineté des Etats. La prohibition finance cartels et mafias, encourage la corruption et contamine le système. L’argent de la « drogue » pervertit l’économie mondiale. Le coût de cette prohibition augmente sans cesse. Policiers et douaniers interceptent moins de 10% des produits en circulation.
La légalisation entraine environ 2 milliards d’€ de recettes fiscales sans compter le budget de la police, la gendarmerie et les douanes, les frais de justice et d’emprisonnement, de santé publique et les effets du marché noir, environ 50 milliards.

Désastre social 

La prohibition entraîne une augmentation de la criminalité et de la délinquance, due au renchérissement artificiel du prix de certaines substances. Elle conduit à des agressions contre les personnes et les biens, à la prostitution et à la revente par les usagers. Le nombre d’usagers et de toxicomanes ne fait qu’augmenter au fil des ans. Les citoyens les plus défavorisés sont les plus touchés par la prohibition et sont souvent victimes de discrimination, voire de racisme dans l’application de la loi.


Désastre juridique

La prohibition, source d’un droit d’exception, menace les libertés individuelles et engendre une répression croissante à l’encontre des citoyens, attentatoire aux libertés et aux Droits de l’homme, en particulier l’emprisonnement des usagers.

La consommation récréative elle-même est criminalisée. Les infractions liées aux substances illicites encombrent la justice et remplissent inutilement les prisons mondiales. En France, près de la moitié des crimes, délits et emprisonnements est liée à la prohibition. On devient délinquant pour se payer son produit et trafiquant pour s’enrichir. Avec 122 000 interpellations par an pour fait de drogue, l’inadaptation et l’épuisement de la police et de la justice à traiter un problème de société entraînent une perte de confiance des citoyens dans la loi et son application.


Désastre sanitaire

La prohibition engendre pour les usagers et la santé publique de graves conséquences. Elle est un obstacle majeur à l’efficacité d’une politique d’information, de prévention et de soins. La qualité incertaine des produits provoque des décès par surdose pour les drogues dures et des addictions et troubles pour le cannabis fortement dosé THC. La prohibition de la vente des seringues, puis la difficulté persistante de s’en procurer, font un nombre important de victimes. De ce fait de nombreux toxicomanes sont séropositifs, leur marginalisation les écarte du système de soins et favorise des pratiques sanitaires désastreuses, propagatrices de l’hépatite et du sida. L’utilisation thérapeutique du cannabis est limitée ou prohibée.


La légalisation contrôlée

Face à un danger public, lorsque la prohibition et la répression s’avèrent impuissantes, ouvrent un marché mafieux et mettent en danger l’ordre public et les libertés individuelles, il convient de pratiquer une autre politique réaliste qui échappe au marché clandestin comme au marché classique, libère la police et la justice, vide les tribunaux et les prisons et respecte les libertés.

Cette politique vise à sortir les usagers récréatifs et les toxicomanes de leur clandestinité. À organiser la défense des personnes poursuivies pour ce type d’infractions, dans des conditions tout à fait exorbitantes du droit commun. À reconnaître les droits de l’usager, en particulier du droit d’être soigné sans restriction ni contrainte. Elle vise à remplacer la « guerre contre la drogue », par la lutte civile contre l’abus des substances présentant des dangers.

Cette politique, c’est la légalisation contrôlée qui s’appuie sur l’article IV de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » et concilie le respect des libertés individuelles avec la protection de la collectivité.


Limiter les consommations

Un État démocratique naturellement soucieux de santé publique ne peut promouvoir les consommations du cannabis, du tabac, de l’alcool, 45 000 morts par an dus à l’alcool, des autres drogues, de l’abus médicamenteux, des produits trop salés ou trop sucrés. Il doit se donner tous les moyens de limiter ces consommations dans l’objectif de santé publique et de sécurité collective et dans le respect des libertés individuelles. Il doit ouvrir un débat sans tabou pour promouvoir une politique de légalisation contrôlée des stupéfiants, à titre d’alternative à la prohibition et à la répression contre le formidable archaïsme de la législation française actuelle.


Évaluer la dangerosité

Il convient de reconnaître les dangers du cannabis et, plus graves encore, ceux du tabac, de l’alcool, des drogues plus dures et de l’abus médicamenteux. De toutes les substances y compris les boissons et les bonbons trop sucrés et les plats cuisinés trop salés....

Il convient aussi de considérer les consommations récréatives non dépendantes de certaines substances. De considérer enfin certains effets positifs comme le vin à petite dose, et les utilisations thérapeutiques du cannabis. La consommation cannabique est massive. Son utilisation et son évaluation varient de vertus récréatives et thérapeutiques à une dangerosité liée aux abus, à certaines maladies psychiatriques, à la jeunesse ou à certaines circonstances comme au volant.

Moins dangereux pour les adultes que l’alcool ou le tabac, le cannabis menace plus les mineurs et la consommation double les risques de dépression, d’anxiété et de schizophrénie.
Contestons le classement du cannabis parmi les substances stupéfiantes et remplaçons la loi du 31 décembre 1970 par un régime tenant compte de la spécificité et la dangerosité de chaque substance. Exigeons la modification des traités, lois, règlements et directives portant prohibition de la production, du commerce et de l’usage des substances. Définissons les modalités et les contrôles selon les substances.

On notera que la commission de stupéfiants des Nations Unies a déclassifié, en 2020, le cannabis en « substance à potentiel thérapeutique » quand la France s’épuise dans la prohibition. 

Contre la dépénalisation et le mercantilisme

Être favorable à la légalisation contrôlée, c’est naturellement s’opposer à la prohibition et à la répression mais c’est aussi s’opposer frontalement à la dépénalisation hypocrite et criminelle comme à la libéralisation dans le marché mercantile. Nous confondons la légalisation contrôlée la dépénalisation et la libéralisation. On entend poser la question de la « dépénalisation » sans préciser s’il s’agit d’une dépénalisation ne touchant que la consommation ou s’il s’agit de légaliser commerce et consommation.

À la question : « Êtes-vous pour ou contre la dépénalisation du cannabis ? » ou des « drogues » en général, les partisans de la légalisation contrôlée répondent qu’ils sont hostiles à l’hypocrite dépénalisation et ils dénoncent les termes de la question.

Certes, la dépénalisation, en autorisant les consommations, cesse de criminaliser les consommateurs et notre légalisation contrôlée inclut cet aspect. Mais, ne s’en prenant pas au marché clandestin, la dépénalisation sèche maintient le commerce clandestin, enrichit les mafias et risque fort de multiplier les consommations. Cette dépénalisation, politique d’autruche irresponsable, brouille le message et le contenu et ruine les espoirs de la légalisation contrôlée, dépénalisation responsable, légalisation et moralisation de la production et de la vente.

Idem pour la question : « Êtes-vous pour la vente libre du cannabis ? ». Il s’agit de distinguer, pour les opposer, le commerce actif que nous dénonçons, du commerce passif et dissuasif que nous préconisons. La légalisation contrôlée n’est pas la libéralisation, la vente débridée active dans le commerce libéral selon la loi du marché de l’offre et de la demande « à la hollandaise » ou « à l’américaine ». Il n’est pour nous pas question de souscrire à des « cannabars » à l’instar des Coffee Shop hollandais ou des hypermarchés cannabiques américains. Si la vente légale du cannabis rapporte à l’État de considérables recettes pour développer une politique de santé publique et prive les mafias de cette manne, amasser de l’argent avec des substances pouvant être dangereuses n’est pas l’objectif premier d’un État démocratique. L’État doit limiter les consommations des substances dangereuses : cannabis, alcool, tabac, drogues dures psychotropes, médicaments inutiles et autres. Les expériences hollandaises et américaines, si elles nous intéressent ne sont pas nos modèles.


Débits de cannabis, commerce passif et dissuasif

La légalisation contrôlée opère dans un secteur d’activités hors du marché et sous contrôle de l’État. La légalisation contrôlée du cannabis, à titre d’alternative à la prohibition et à la répression des stupéfiants, concilie le respect des libertés individuelles avec la protection de la collectivité. Elle isole le cannabis des autres substances, vise à baisser les consommations et casse la mafia.

La légalisation contrôlée met en place des débits de cannabis à commerce passif et dissuasif : Situés à plus de 300 mètres des lieux scolaires, pas de délivrance aux mineurs, quantité limitée par personne, prohibition de la revente, pas de publicité pour le produit, anonymat des achats, contrôle et information sur les provenances, la façon de consommer et la qualité des produits, information sur la dangerosité du produit, information sur le code de la route et sur les interdictions liées à la consommation du cannabis, maintien de l’interdiction de la consommation du cannabis dans les lieux publics, aide médicalisée et psychologique pour limiter la consommation et la cantonner à un usage raisonnable et récréatif ou pour arrêter la dépendance au produit. Débits tenus par des fonctionnaires ou des associatifs assermentés et formés n’ayant aucun intérêt salarial à la vente. L’ensemble assorti de l’autorisation de plantation domestique à usage personnel et détermination de quantités autorisées avec interdiction de revente et de distribution.
Notons que la commission de stupéfiants des Nations Unies a déclassifié, en 2020, le cannabis en « substance à potentiel thérapeutique » quand la France s’épuise dans la prohibition. 

Réduction des risques

La politique de légalisation contrôlée est un pas vers une société d’Esprits Libres. Son succès ouvre la voie à la légalisation contrôlée du tabac, d’autres drogues, de l’alcool, des médicaments, de la prostitution et d’autres secteurs mettant en danger l’ordre public, la santé et les libertés.

La légalisation contrôlée du cannabis n’implique pas forcément de toucher aux autres secteurs mais nous aurons intérêt à créer un environnement politique et social favorable avec la mise en place d’un Revenu Citoyen, de mesures de réduction de risques, de légalisation contrôlée du tabac et de drogues dures et de suppression des abus médicamenteux.


Revenu Citoyen

Il facilitera la reconversion des petits trafiquants en les orientant vers la formation, la culture et la santé et vers l’emploi mieux partagé. La suppression totale ou partielle du R.C. sera, en cas de délinquance, une mesure efficace et dissuasive.

Sans la mise en place du R.C., la légalisation contrôlée sera douloureuse à mettre en place car l’économie de certains quartiers tient sur le trafic des drogues. Sachons qu’après une saisie les impayés suivent dans les quartiers comme le constatent les offices HLM, les services de l’eau, du gaz, de l’électricité, les commerces et les autres débiteurs.


Jeunesse et tabagisme

L’État doit prendre d’urgence ses responsabilités en direction de la jeunesse scolarisée. La consommation de tabac doit être prohibée à moins de 300 mètres des lieux scolaires afin de limiter le geste de fumer tabac ou cannabis, de supprimer le mimétisme, l’incitation collective et le tabagisme passif dans les rassemblements. L’abaissement de l’âge du premier contact avec toutes les substances nocives est aujourd’hui une catastrophe sanitaire.

Les nouveaux débits de tabac ne doivent pas pouvoir s’installer à moins de 300 mètres d’un lieu scolaire. Les débits situés dans ces périmètres verront leur licence rachetée par l’État ou non renouvelée lorsque les exploitants partiront à la retraite.

Les entreprises seront également invitées à dissuader les travailleurs fumeurs en pause de griller une cigarette sur les trottoirs. Il ne s’agit pas d’interdire mais d’offrir des alternatives à la cigarette. À chaque entreprise de prendre des initiatives et une incitation fiscale les aidera.

Dès la mise en place de la légalisation contrôlée du cannabis, le tabac, comme les jeux d’argent, devrait être progressivement isolé des autres substances, alcool, boissons, presse, papeterie, viennoiserie, confiserie, jeux. Les licences progressivement rachetées par l’État et des débits de tabac à l’image des débits de cannabis remplaceront sur dix années le commerce actif actuel. Les gérants de débits de tabac se verront proposer en priorité de tenir ces lieux nouveaux.

Les mégots et les paquets d’emballage seront consignés et donc récupérés afin de ne pas souiller l’environnement et de ne plus engager des sommes folles pour leur ramassage nécessaire étant donnée la pollution considérable qu’ils provoquent.


Drogues

Les consommateurs ne doivent pas être traités comme des délinquants. Les salles de consommation anonyme, de présence et d’assistance médicales, de contrôle des produits et des doses, d’information sur la dangerosité, de produits de substitution, d’échanges des seringues, sont exemplaires de la légalisation contrôlée de fait de drogues ciblées permettant d’en prohiber d’autres en particulier certaines de synthèse.


Prohibition ciblée

La prohibition généralisée est une dangereuse et coûteuse illusion réduite à l’impuissance. Seule une prohibition ciblée est efficace. Prenons l’exemple de la prohibition généralisée aux États-Unis qui fut un fiasco comme l’est la politique du tout répressif des drogues depuis 70 en France. Â la même époque, dans notre pays, la prohibition ciblée contre la seule absinthe réussissait car la cible était restreinte et les substitutions vers les alcools anisés possibles.

Évaluation

À quelle aune jugerons-nous la politique de légalisation contrôlée ? Si la légalisation contrôlée permet de limiter les consommations, si elle réduit les risques, si elle réduit drastiquement le marché clandestin maffieux, si elle libère la police, désengorge la justice et les prisons, si elle réduit le déficit public, si elle respecte les libertés individuelles, alors il conviendra de la poursuivre. Sinon il conviendra de l’abandonner. Politique pragmatique, empirique et expérimentale de cinq années qui sera probante.

Quand E. Macron et G. Darmanin se crispent, le rapport parlementaire récent de mai 2021 demande la légalisation pour « reprendre le contrôle » face au trafic et protéger les mineurs. Après de multiples auditions dont chercheurs, policiers, médecins, magistrats, les députés constatent l’échec sanitaire de la répression : « L’Etat assiste de manière impuissante à la banalisation du cannabis chez les jeunes et à la détérioration de la sécurité » malgré une « politique répressive française qui coûte cher et mobilise à l’excès les forces de l’ordre ». La politique de répression affichée vise plus les consommateurs, 80 % des infractions, que le trafic. La prévention se limite à une séance d’information par an dans les établissements scolaires.

« On propose une vraie politique de réduction des risques et d’arrêter de faire la guerre à l’usager pour réorienter réellement la police vers la lutte contre les trafics », « La prohibition adopte
depuis cinquante ans un objectif inatteignable, sans jamais avoir les moyens de ses ambitions. Une légalisation régulée, c’est le meilleur moyen de reprendre le contrôle et de protéger les Français » Caroline Janvier, députée LREM.
Les Esprits Libres sont disposés à piloter l’expérience de cette politique de légalisation contrôlée seule capable de faire baisser les consommations, de casser la mafia, de désengorger police, justice et prisons, de revenir à un ordre républicain, à la paix sociale, au contrôle des quartiers sensibles et de préserver santé publique et libertés individuelles.