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Comptes rendus

Marco Morel. 2017. A revolução do Haiti e o Brasil escravista. O que não deve ser dito

Jundiaí-São Paulo : Paco.
Sébastien Rozeaux
Référence(s) :

Marco Morel. 2017. A revolução do Haiti e o Brasil escravista. O que não deve ser dito. Jundiaí-São Paulo : Paco.

Texte intégral

1Marco Morel nous offre ici un nouvel éclairage sur l’histoire politique du Brésil, puisque « l’objectif général du livre est de traiter de façon historique des répercussions de la révolution d’Haïti (1791-1825) dans le Brésil esclavagiste (c.1800-c.1840), en se concentrant sur les secteurs non asservis de la société brésilienne et sur les réceptions pas complètement négatives, voire positives, des événements caribéens » (p. 13). Il s’agit pour l’historien d’effacer cette « couche de silence et d’ignorance » qui occulte encore aujourd’hui la mémoire de la révolution d’Haïti au Brésil, et dont les origines remontent au contexte particulier du premier XIXe siècle. En effet, l’haitianismo exprime alors la peur panique des grands propriétaires terriens et de leurs alliés politiques face au « péril noir », à la menace d’une insurrection des esclaves et la volonté qui en découle d’occulter l’histoire si particulière d’Haïti afin de ne pas fragiliser l’institution servile. Ce néologisme à connotation péjorative porte en lui la mémoire tragique des rébellions des esclaves haïtiens stigmatisés aussi du fait de la couleur de leur peau. Un tel effacement de la mémoire de ces événements est le résultat d’une stratégie politique coordonnée mais dont l’efficacité mérité d’être réévaluée. Dans ce but, Marco Morel s’est attaché à déconstruire le cliché d’un « rejet monolithique » de la révolution caribéenne dans la société brésilienne de la première moitié du XIXe siècle. Les très riches sources manuscrites (judiciaires) et imprimées (presse, essais et discours politiques) auxquelles puise l’historien pour nourrir ces pages attestent a contrario de la diversité des regards portés sur cet ébranlement des Amériques.

2La première partie se présente comme un « abrégé » de l’histoire de la révolution haïtienne et de ses origines ; l’occasion pour Morel de rappeler la complexité et la pluralité des expériences politiques que recouvre cette « révolution noire », dont les origines complexes ne se résument pas au seul écho lointain des événements révolutionnaires français. À partir des acquis les plus récents de l’historiographie, l’historien souligne à quel point les conflits politiques, le travail forcé et les inégalités sociales ont perduré en Haïti après l’indépendance de 1804, en particulier lors de la guerre civile qui vit s’affronter pendant douze années « Noirs » et « Mulâtres ». Si la décolonisation et l’abolition faisaient consensus, le choix du régime politique (république, royauté ou empire) était objet de débats, et les clivages ethniques étaient persistants dans un contexte de grave crise économique et financière. La complexité de cette révolution qui s’étire sur plus de trois décennies éclaire aussi la diversité des lectures et des interprétations dont elle a pu faire l’objet au Brésil.

3La deuxième partie du livre met au jour les réseaux par lesquels s’échangent les idées dans un monde atlantique particulièrement réceptif à ce qu’elles véhiculent. Quelques religieux français dont les œuvres ont circulé (légalement ou clandestinement) au Brésil ont contribué à y façonner des représentations plurielles de la révolution haïtienne au début du XIXe siècle. L’abbé Grégoire la soutient sans réserve, au point d’en faire un exemple pour toute l’Amérique. L’abbé de Pradt (célèbre au Brésil pour avoir légitimé par ses écrits l’indépendance de l’Amérique portugaise) se montre pour sa part très critique. S’il est lui aussi favorable à une abolition de l’esclavage, il croît qu’au Brésil elle doit être lente et menée sous contrôle de l’État afin de préserver les structures profondes de la société. Or, de façon concomitante, des religieux brésiliens prennent publiquement la parole pour condamner l’esclavage, sans pour autant se prononcer eux aussi en faveur d’une abolition immédiate. En dénonçant les horreurs du trafic ou les souffrances infligées aux captifs, ces discours rompent avec l’argumentaire sur lequel reposait depuis plusieurs siècles le système esclavagiste, et s’inscrivent de ce fait dans les réseaux atlantiques (Caraïbes-Europe-Amérique latine) de circulation des idées, au prix de relectures et de réappropriations critiques. La pensée atypique du père Léonard en est un bon exemple, puisque ce religieux métis ose exprimer publiquement sa sympathie pour la révolution haïtienne : si ce « représentant méconnu de la pensée radicale au Brésil » s’inspire des idées de l’abbé Grégoire, il ne reprend pas à son compte celle d’une abolition immédiate de l’esclavage, pas plus qu’il ne défend le principe de l’instauration d’un régime républicain.

4La troisième et dernière partie du livre s’intéresse à des personnalités méconnues de l’histoire du Brésil impérial dont l’action, les mots ou les œuvres traduisent elles aussi des formes d’appropriation plurielles des événements en Haïti. C’est le cas des placards affichés dans les rues de Recife lors de la Confédération de l’Équateur – cette éphémère expérience républicaine séparatiste que connut le Nordeste en 1824 – qui montrent que le précédent haïtien y a été perçu comme une voie possible vers l’émancipation. Ainsi, malgré la censure, la « révolution noire » était un fait connu, en particulier au sein des couches les plus pauvres (et analphabètes) de la population. Plus surprenant peut-être, la presse écrite des années 1810-1830 à destination des élites sociales au Brésil reflète elle aussi cette pluralité des regards et des opinions : les épisodes haïtiens, loin d’être unanimement condamnés, ont pu être l’objet de commentaires nuancés voire positifs, en particulier lorsqu’on salua la geste indépendantiste et abolitionniste des esclaves comme un exemple à suivre, avant et après 1822.

5La période des Régences (1831-1840), pendant laquelle la parole publique se libère et les troubles politiques se multiplient dans l’Empire, voit l’apparition du mot haitianismo dans l’espace public. Ce néologisme est utilisé par les partisans de la conservation de l’ordre esclavagiste et de la traite, piliers du système agro-exportateur, pour construire une mémoire de la révolution caribéenne à des fins de politique interne, afin de mieux lutter contre les discours abolitionnistes et républicains qui se font entendre alors. Ainsi en est-il, en 1831, d’une rumeur sans fondement qui court dans les rues et les salons de la capitale au sujet d’une « société grégorienne » (du nom de l’abbé Grégoire) qui se serait constituée. Cette société secrète préparerait, sous couvert de promouvoir l’égalité raciale, un plan d’assassinat des « Blancs », selon l’exemple haïtien. Morel analyse ce bruit comme une façon habile de discréditer les idées des libéraux « exaltés », ces réformistes partisans de la république, d’une abolition graduelle de l’esclavage et de l’intégration politique des populations métisses et affranchies (sans pour autant inciter les esclaves à l’insurrection). L’haitianismo s’inscrit donc pleinement au Brésil dans les débats politiques de ce temps en soulevant la question raciale et en se demandant quel périmètre donner au « peuple », qu’il s’agisse de (re)légitimer l’institution servile, de condamner le métissage ou de justifier la domination des élites « blanches » dans l’Empire. En dépit des appels au silence ou à la censure de la part des contempteurs de la « révolution noire », les échos publics de cet évènement au Brésil sont nombreux et servent des idées politiques concurrentes dans le contexte trouble des années 1830.

6La richesse et la diversité des sources documentaires comme de la bibliographie mobilisée (brésilienne, haïtienne, américaine et européenne) ont permis à Marco Morel d’offrir avec ce livre une nouvelle approche de la vie politique du Brésil aux lendemains de l’Indépendance, à partir d’un détour judicieux par la révolution haïtienne. Le choix d’une perspective atlantique s’inscrit de façon opportune dans la voie féconde de l’histoire connectée et se révèle très prometteur, car ce livre laisse entrevoir aussi – et ce n’est pas le moindre de ses mérites – de nouveaux sujets de recherche dont on peut espérer qu’ils seront bientôt l’objet d’études plus approfondies.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Sébastien Rozeaux, « Marco Morel. 2017. A revolução do Haiti e o Brasil escravista. O que não deve ser dito »Brésil(s) [En ligne], 13 | 2018, mis en ligne le 31 mai 2018, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/bresils/2435 ; DOI : https://doi.org/10.4000/bresils.2435

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Auteur

Sébastien Rozeaux

Université Toulouse Jean Jaurès, FRAMESPA

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