Navigation – Plan du site

AccueilNuméros13VariasClasses sociales, races et nation...

Varias

Classes sociales, races et nation au Brésil

Classes sociais, raças e nação no Brasil
Class, Race, and Nation in Brazil
Antonio Sérgio Alfredo Guimarães
Traduction de David Yann Chaigne

Résumés

Aujourd’hui, les sciences sociales ne peuvent plus penser la formation des groupes comme le résultat de la mobilisation collective ou du développement de plusieurs champs théoriques indépendamment de leurs intersections avec plusieurs dimensions d’agency et de détermination structurelle. Dans cet article, je défends la thèse selon laquelle les interactions entre les processus de formation de classe et de race doivent être examinées dans leurs tensions avec le cadre plus général du processus de formation nationale. Je m’attache, particulièrement, à la façon dont, au Brésil, racialisation et formation de classes sont structurés par l’appartenance nationale qui, elle-même, se construit en relation avec un idéal particulier de classe sociale et de dénégation de races. À cette fin, j’utilise librement le concept de racialisation développé en sociologie par Michael Barton, ceux de formation de classes (Adam Przeworski) et de formation raciale (Omi & Winnant).

Haut de page

Notes de la rédaction

Article reçu pour publication en décembre 2016 ; approuvé en novembre 2017.

Notes de l’auteur

Une version préliminaire de cet article a été publiée dans Tempo Social (28, 2, 2016, p. 161-182) sous le titre « Formações nacionais de classe e raça ». La version ici présentée, qui a subi diverses modifications, a été rédigée lors d'un séjour à la Chaire Simon Bolivar de l'Université de Cambridge (2016-2017). À cette occasion, j'ai pu discuter des idées ici proposées avec différents collègues du Center of Latin American Studies et d’autres centres d’études brésilianistes en Europe, comme celui du King’s College de Londres ou de l’EHESS à Paris (CRBC).

Texte intégral

1En 1897, à l’American Negro Academy, W. E. B. DuBois, qui cherchait à expliquer à ses pairs la signification du concept de race, était parti d’une idée déjà amplement acceptée : les traits physionomiques spontanément évidents aux yeux des Occidentaux – couleur de peau, texture des cheveux, forme du nez et des lèvres, etc. – ne peuvent en aucun cas être des marqueurs scientifiques fiables. Face à la futilité et au vide intellectuel de la définition des races humaines à partir des caractéristiques physiques, DuBois (2006 [1897], 119-120) proposait comme stratégie alternative un véritable idéal civilisateur à même d’affirmer la race noire au sein de l’ensemble des races humaines :

Alors, qu’est-ce qu’une race ? C’est une vaste famille d’êtres humains, généralement unis par le sang et par la langue, toujours rassemblés par une histoire, des traditions et des pulsions communes, et qui, volontairement comme involontairement, luttent ensemble pour la réalisation d’idéaux de vie dont la conception est plus ou moins claire.

  • 1 Nous devons à Sartre, dans Orphée noir, cette observation si chère à Guerreiro Ramos dans les année (...)

2Soixante ans plus tard, en 1957, et à quelques milliers de kilomètres plus au sud, au Brésil, Guerreiro Ramos, après avoir longtemps combattu l’inconstance scientifique et sociologique d’une idée de race réduite à la seule apparence physique1, finit par accepter le fait social incontestable qui faisait de lui un mulâtre et fit de cette condition corporelle insignifiante le point de départ d’un nouveau projet intellectuel :

Je suis Noir, j’identifie comme mien le corps dans lequel s’insère mon moi, j’attribue à sa couleur la possibilité d’être esthétiquement valorisée, et je considère ma condition ethnique comme l’un des piliers de ma fierté personnelle – nous avons là toute une propédeutique sociologique, un point de départ pour l’élaboration d’une herméneutique de la situation du Noir au Brésil. (Ramos 1995 [1957], 199)

3Pourquoi les Noirs des Amériques, du nord au sud, vont-ils ainsi chercher dans la condition raciale à laquelle ils ont été réduits durant l’esclavage le point de départ de leur édification morale, culturelle et civilisatrice ? De fait, ce chemin n’a pas été suivi ou historiquement construit par d’autres peuples tout aussi racialisés, dont certains avaient également été confrontés au statut d’esclave durant l’Antiquité, pas plus que par les immigrants de diverses régions du globe – Européens, Nord-Africains, Asiatiques, Moyen ou Extrême-Orientaux – qui ont débarqué sur le nouveau continent.

4La réponse à cette question ne peut être satisfaisante que si l’on procède au préalable à un éclaircissement théorique central : distinguer clairement les deux côtés du même processus historique de la fabrique [racecraft] des races (Fields & Fields 2012) que sont la « racialisation » et la « formation raciale », et que la littérature sociologique considère le plus souvent comme équivalents. On peut au moins faire remonter le premier de ces deux concepts aux travaux de Michael Banton (1977), et il est aujourd’hui amplement utilisé dans les sciences sociales et l’histoire sociale. Le second, initialement proposé par Michael Omi et Howard Winant (1994), est plus confidentiel et reste l’apanage du monde noir nord-américain. Ce que je souhaite faire avancer ici est l’usage du terme de « racialisation » pour signifier principalement qu’un groupe social (ou une personne) est dépouillé de ses aspects culturels pour être réduit à des marques corporelles qui deviendront alors synonymes de qualités humaines distinctives d’une « race » telles que l’humour, le caractère moral, des capacités, des attitudes ou des valeurs spécifiques. Les résistances auxquelles se heurte systématiquement la racialisation prennent des formes variées. Toutefois, elles visent toujours à redéfinir à contre-courant le groupe social racialisé à partir de marqueurs à proprement parler culturels et ethniques. L’une des formes possibles de ce processus est l’usage par des groupes définis comme noirs dans les Amériques de ce qu’on appelle la « formation raciale ». Celle-ci est ici considérée comme la reconstruction de l’appartenance raciale par une inversion diacritique des marqueurs de stigmatisation (Goffman 1963) à même de transformer, comme l’a théorisé Elias (1998), la « disgrâce collective » en « charisme de groupe ».

5Je m’appuierai ici sur une stratégie méthodologique amplement utilisée de nos jours et qui se fonde principalement sur deux traditions : la théorie féministe et la théorie de l’ethnicité. De la première je retiendrai l’apport de l’intersectionnalité : les processus sociaux réels, tels que les processus politiques et plus spécialement la formation d’agents et de groupes sociaux, ont lieu dans un environnement d’interactions et de déterminations multiples ; les concepts et les catégories ne sont isolément rien de plus que le fruit de nos efforts analytiques (Bilge 2013 ; Carastathis 2014 ; Hancock 2007 ; Likke 2011 ; Kergoat 2010 ; Nash 2008).

6De la seconde je conserverai les stratégies de Wimmer (2008 ; 2013) et de Bourdieu (1987) qui ont analysé la formation de groupes sociaux dans des contextes d’États-nations et dans leurs relations avec la formation d’autres groupes, en particulier des classes sociales. Il convient sur ce point d’éclaircir deux éventuelles confusions. La première est que les groupes sociaux ne sont en rien historiquement donnés ou finis (Brubaker 2002), et que l’on doit mettre l’accent sur le caractère progressif et temporel de leur formation et transformation (groupness). La seconde est que même dans le cadre de l’élaboration d’une théorie analytique plus abstraite et pensée de manière transnationale (Beck 2003 ; Wimmer & Schiller 2002), les analyses historiques doivent être délimitées par leurs contextes nationaux qui fournissent des répertoires culturels spécifiques à partir desquels les catégories de classification sociale sont resignifiées (Lamont et al. 2016). Il s’agit ainsi d’éviter l’écueil d’un nationalisme méthodologique empêchant la construction de structures analytiques générales, mais également celui d’un formalisme qui nous confinerait à un niveau d’analyse trop abstrait et omettrait, par exemple, la réalité sociale de catégories coloniales locales comme la race. L’analyse de cette dernière (en tant que construction coloniale locale), même lorsqu’on la mène dans un système mondialisé, a pour objet des phénomènes imbriqués dans des constructions nationales.

7Les réflexions qui suivent doivent donc être entendues dans le cadre plus général du processus de formation nationale au Brésil. L’éventualité de leur généralisation à d’autres contextes ne saurait faire l’économie de l’explicitation des éléments nationaux spécifiques qui sont en jeu. Il s’agit donc ici d’analyser de quelle manière les processus brésiliens de racialisation et de formation raciale sont délimités par l’appartenance nationale, et comment celle-ci s’est constituée par rapport à un certain imaginaire lié aux classes sociales et aux relations qu’entretiennent les différents communautés ethniques ou raciales.

8Le texte proposé ici suivra les étapes suivantes : tout d’abord, une ébauche de l’idéologie des classes sociales qui structure globalement les sociétés capitalistes modernes pour démontrer le caractère de classe de la formation nationale brésilienne ; viendra ensuite une explicitation des concepts de racialisation et de formation raciale tels que communément utilisés dans la littérature afin d’affiner leur signification en se situant au sein des processus historiques brésiliens ; on analysera finalement comment les différentes formes de résistance à la racialisation ont échoué dans le Brésil contemporain pour laisser place à la création d’identités revendicatives et émancipatoires autour de la notion de race.

L’idéologie des classes

9Le statut des classes sociales au sein de la théorie sociologique a toujours été controversé. On se limitera ici aux principaux courants contemporains pour lesquels ce concept est central, à savoir les marxistes et les wébériens. Pour les premiers, les classes s’insèrent dans la théorie plus ample du matérialisme historique en tant qu’agents d’impulsion de l’histoire. Les sociétés de classe préexisteraient donc aux sociétés bourgeoises et capitalistes. Les wébériens limitent au contraire les classes dans le temps en ce qu’elles présupposeraient des individus libres agissant sur des marchés. Or, ces derniers, qui sont bien plus que de simples lieux d’échanges matériels, ne peuvent opérer hors d’un système d’attentes et de dispositions comportementales visant non seulement à orienter, mais surtout à institutionnaliser et à réglementer les actions sociales. Autrement dit, Weber ne s’intéresse pas à une supposée réalité matérielle structurant l’action sociale depuis l’extérieur, mais plutôt au système de croyances, de valeurs et d’attitudes qui structure l’interaction sociale de l’intérieur.

10Si, au lieu d’aborder le concept du point de vue théorique, on s’attache à l’histoire des sociétés modernes, le terrain n’en est pas pour autant moins ambigu. À titre d’exemple, la société française semblerait parfaitement inexplicable si l’on ne prenait pas en compte la lutte des classes ou les autres conflits entre catégories sociales pour la défense d’intérêts matériels, de droits ou de statuts sociaux. Dans la société nord-américaine, au contraire, les individus semblent réellement représenter des unités centrales de l’action se regroupant au sein de groupes sociaux les plus divers et toujours en formation : religieux, ethniques, raciaux, économiques, genrés, etc. La lutte des classes ne pourrait donc y avoir lieu qu’à travers des conflits d’un autre type.

11Face à la vision marxiste, les considérations wébériennes ont néanmoins la vertu d’attirer l’attention sur un fait souvent négligé : les classes sociales en tant que concept théorique exclusivement applicable à des sociétés d’individus et de marchés portent en elles une normativité implicite. On s’attend ainsi à ce que les individus et les groupes sociaux qui se forment agissent en fonction d’une certaine rationalité, instrumentale ou non, rendant la vie sociale intelligible. Cette rationalité se veut universelle et unique : toutes les autres possibilités de regroupements doivent lui être subordonnées. En effet, en ce qu’elles se basent sur des marchés, elles en héritent le principe d’échange de valeurs équivalentes et le présupposé de l’égalité et de la liberté individuelle. Les autres groupes sociaux ne réuniraient pas de telles vertus normatives.

  • 2 La théorie sociologique des classes, à travers les études sur la mobilité sociale ou la reproductio (...)

12Les classes sociales aspirent donc dans leur idéologie à devenir l’expression majeure de l’égalité et de la liberté individuelle2. Dans la version marxiste, une telle égalité est corrompue par la plus-value, qui fonde la théorie de l’exploitation et l’idéal révolutionnaire d’une société sans classes. Par contre, selon la version libérale, les groupes raciaux, ethniques et religieux peuvent accéder à une légitimité de classe car, comme sur les marchés, la différence entre croyances, races et cultures garantirait leur égalité formelle, à partir du moment où elles sont la manifestation de la liberté individuelle.

13Si l’on suit la voie tracée par Weber, il n’en demeure pas moins certain que la formation des groupes sociaux constitue dans le monde contemporain un processus historique complexe (Bourdieu 1987 ; Wimmer 2013) propre à chaque société nationale. On en veut pour preuve que l’État-nation en soi, tel qu’il s’est constitué historiquement, dispose d’une force institutionnelle suffisante pour s’auto-reproduire et garantir simultanément la reproduction des autres groupes qui le composent. On voit par exemple que les États-Unis d’Amérique assurent la reproduction des groupes raciaux, ce qui n’est pas le cas de l’État national français. Au Brésil, les groupes raciaux ou de couleur sont recensés par l’État depuis l’Empire et ont récemment commencé à bénéficier de droits et de politiques publiques spécifiques.

14Les classes sociales peuvent donc exister historiquement de différentes manières. Elles peuvent coexister avec d’autres groupes sociaux, comme les ethnies et les races, et, dans ce cas précis, il semble que la distinction analytique opérée par Marx ou Weber se réalise complètement, en ce que les classes délimitent uniquement des positions sociales au sein du marché ou de la structure économique, tandis que d’autres principes de délimitation des groupes entrent concomitamment en œuvre. Dans ce cas, les classes ne sont pas simplement composées d’individus, mais également de différents groupes sociaux (bourgeoisie noire et blanche ; prolétariat noir et blanc), ce qui indique clairement l’existence de réalités interactives distinctes. Elles peuvent à l’inverse occulter d’autres groupes sociaux en s’y superposant. C’est le cas, par exemple, dans les sociétés coloniales ou postcoloniales où les classes coïncident grosso modo avec les groupes raciaux ou ethniques. Dès lors, si les marchés et leurs mécanismes prévalent, les races ou groupes ethniques ne seront que des épiphénomènes des rapports de classe. Si, au contraire, l’exploitation et l’accumulation des richesses ont lieu directement entre sujets formés en race ou en ethnies, ce sont les classes qui disparaîtront.

15Du point de vue de la formation des sujets, les classes peuvent se résumer à la conscience de ceux qui dominent et à leur prétention au charisme (Elias 1998), toutes les autres classes étant qualifiées et auto-définies comme stigmates. Ici, comme l’ont si bien souligné Elias et Scotson (1965), il n’y aurait pas à proprement parler de classes subalternes en ce que tous aspireraient aux vertus de la classe dominante. Une autre possibilité, celle mise en avant par Marx, consiste en l’émergence politique des exploités par la lutte des classes et la prise de conscience de leur exploitation. On a enfin l’éventualité défendue par les théoriciens durkheimiens (Grusky & Galescu 2007), selon laquelle les différents groupes sociaux se forment en tant que catégories ou petites classes sociales en conflit coopératif, soit un conflit qui ne menace en rien le maintien de l’ordre. Au Brésil – et en Amérique latine en général – il existe également la possibilité de ce que les classes et les catégories sociales soient absorbées comme semi-appendices de l’État à travers des rapports de citoyenneté régulés (Santos 1979) ou fonctionnent comme appareils corporatistes (O’Donnell et al. 1977 ; Linz & Stepan 1978).

L’idéologie des races et la racialisation

16Les races ont également leur science, que ce soit pour les nier ou pour les affirmer. Revenons dans le temps pour rappeler comment s’est construit le consensus théorique relatif aux races, ce qui nous aidera à comprendre la force dont a pu jouir l’une des formes de résistance à la racialisation.

17Après l’holocauste de la Seconde Guerre mondiale, il était apparu clairement aux scientifiques et aux intellectuels que les sciences biologiques n’étaient pas en mesure d’expliquer la violence exterminatrice du fascisme et, encore moins, la banalisation du mal théorisée par Hanna Arendt (1963). Il était devenu évident que la violence et l’extermination racistes ne pouvaient uniquement avoir pour ressort une haine atavique, supposée et mythique, entre les races. Il s’agissait au contraire de soutenir qu’il n’existait pas de base empirique ou théorique solide pour affirmer l’existence des races humaines et que, si le concept de race en venait à être utilisé comme instrument heuristique en biologie, il ne correspondait en rien à celui qu’ont institué les différents régimes politiques au niveau national et dont on se servira dans notre analyse du monde social et symbolique.

  • 3 UNESCO, « Déclaration d’experts sur les questions de race », 20 juillet 1950. Document original dis (...)

18La première solution proposée par l’UNESCO en 1950 pour éradiquer les racismes nationaux et individuels a été de bannir le terme même de « race » des discours scientifiques. À en croire la « Première Déclaration sur les questions de race3 », le racisme dériverait de la croyance en une existence des races humaines dont les bases scientifiques seraient trop fragiles. Les sciences, en faisant usage d’un concept vulgaire comme celui de race, ne serviraient ainsi qu’à apporter légitimité et force symbolique aux rapports de force qui subordonnent, oppriment et exploitent les collectifs sociaux sur tous les continents et, finalement, ont perpétué l’idéologie raciste et institutionnalisé la racialisation. La principale conséquence de cette Première Déclaration a été d’universaliser l’idée selon laquelle le racisme prend forme lorsque l’on prétend expliquer la culture et la société par la nature physique ou biologique. Le racisme impliquerait de réduire la société à la nature et de substituer à la compréhension des cultures humaines une explication de type naturaliste.

  • 4 La déclaration de 1951 intitulée « Déclaration sur la race et les différences raciales » peut être (...)

19Les résolutions de 1950 ne faisaient toutefois pas le tour du problème. Comme le montrera la seconde réunion de scientifiques – cette fois-ci majoritairement issus des sciences naturelles – convoquée par l’UNESCO en 19514, justement pour revoir la Première Déclaration, la race était un concept que les sciences naturelles avaient plus de mal à abandonner. Ajoutons ici qu’il se révèlera tout aussi indispensable pour mener la lutte politique contre le racisme aux États-Unis et dans bien d’autres pays, ce que nous nous attacherons à montrer ci-après. Reste un consensus sur le fait que les sciences naturelles sont incapables d’expliquer les rapports sociaux.

20Néanmoins, une analyse plus précise nous montre qu’il existe des brèches à même de relativiser jusqu’aujourd’hui le consensus de 1950. On peut les retrouver dans les différents courants théoriques des sciences sociales dont on peut ici citer trois des plus importants de nos jours : 1) les formations sociales expliquées par les rapports de production et d’exploitation ; 2) la culture et la société comprises comme des systèmes symboliques ; 3) les sociétés humaines analysées en tant que rapports sociaux de pouvoir.

21Pour les sociologues se reconnaissant dans les deux premiers, la collaboration entre les sciences naturelles et sociales est devenue au fil du temps quasiment inexistante, et les deux champs ont continué à se développer pratiquement sans aucune interaction ou interlocution directe. Toutefois, en ce qui concerne les scientifiques du dernier courant, dans la lignée de Max Weber et de Nobert Elias (1981), il n’existe pas de distinction définitive entre le biologique et le social. La collaboration entre les sciences naturelles et sociales a simplement été ajournée le temps que les premières puissent réellement contribuer à éclairer les phénomènes sociaux sans les réduire à de simples phénomènes physiques et naturels. Il existerait donc au final un substrat biologique dans le comportement humain que l’on ne saurait bannir a priori à partir d’une simple décision politique des scientifiques.

22À des époques marquées par d’importantes tensions raciales, comme c’est le cas aujourd’hui, la tentation est forte de croire que les sciences naturelles pourraient finalement nous aider à éclaircir les phénomènes sociaux, de la même manière qu’elles nous aident depuis si longtemps à guérir les maux de nos corps. C’est là que se situe la brèche la plus importante.

23Ce danger a été dénoncé par Troy Duster (2003) dans son ouvrage Backdoor to Eugenics puis dans son adresse au congrès de l’American Sociological Association de 2005 dont il était, cette année-là, le président (Duster 2006). Il y analyse les conséquences réductionnistes de l’introduction de variables naturelles – tests ADN par exemple – dans des recherches sociologiques prétendant mesurer avec précision la race des personnes interrogées. Duster – rejoint par Bourdieu (2003) dans la préface à la deuxième édition de Backdoor to Eugenics – y réfutait la critique hâtive du constructivisme social alors avancée par quelques sociologues américains. Peter Wade (Wade et al. 2014) et d’autres insistent également sur la fragilité méthodologique et théorique des études sur la diversité phénotypique des populations humaines et, plus particulièrement, de leur base d’échantillonnage et de leur supposée représentativité des populations ancestrales.

24Toutefois, la biologie moléculaire moderne jouit d’un statut reconnu dans l’étude génétique des populations et la détermination de l’ancestralité biogéographique (El-Haj 2007 ; 2012). Les chercheurs travaillant sur les relations raciales, comme Michael Banton (2012), même s’ils continuent de nier l’existence des races humaines, ont néanmoins constamment recours à la science génomique pour introduire, par exemple, des catégories telles que « la couleur de peau », traitées comme une réalité naturelle déterminable par la biologie moléculaire.

  • 5 Il convient de rappeler que dans le système de classification raciale par couleurs, tel que nous le (...)

25Substituer la « couleur de peau » à la « race » porte toutefois à confusion. On confond par exemple la classification par couleurs de peau utilisée en Europe avec la classification singulière par « couleurs » en vigueur au Brésil5. De plus, aucune des deux n’est réellement appuyée sur une définition biologique. La catégorie de « couleur » socialement en usage n’est pas plus avérée ni moins discriminatoire que la catégorie de « race ».

26En fait, il existe une autre brèche que l’on peut retrouver jusque dans les mouvements sociaux de lutte contre le racisme. La race, ou la couleur, en tant qu’identité ou groupe social, peut être définie par les autres – il s’agit alors d’une « race-attribuée » – ou au contraire assumée, à savoir politiquement revendiquée. Nous avons là deux processus distincts mais généralement simultanés.

27D’une manière générale, la littérature des sciences sociales accepte de s’intéresser aux processus d’attribution de la race, mais rejette le traitement scientifique du processus d’auto-assomption raciale pour deux raisons principales. En premier lieu, la race n’a pas de statut ontologique dans le monde physique où elle se manifeste. En d’autres mots, on considère comme race une population identifiable par des caractéristiques physiques perceptibles auxquelles correspondraient également des traits comportementaux, intellectuels, psychologiques, moraux et culturels. Or une telle entité n’existe pas dans le monde de la nature physique, dans le monde réel, et ne constituerait ainsi qu’une construction sociale pure et simple. Comment peut-on dans ces conditions traiter des races dans le contexte scientifique ? Ce rappel ontologique ne doit toutefois pas s’appliquer aux sciences sociales. J’ai fait allusion dans un autre texte (Guimarães 2016b) à la révolution méthodologique de Weber (1904), lorsqu’après avoir réfuté toute possibilité d’emploi du concept de race biologique comme conditionnant l’action sociale, il s’attache à l’examen de la manière dont la croyance généralisée dans les races au sein de la société nord-américaine contraint l’analyste à prendre en considération les groupes raciaux ainsi formés. Omi et Winant (1994) citent à ce propos Thomas et Thomas (1928, 571-572) : « Peu importe que l’interprétation soit ou non correcte – si les hommes [sic] définissent des situations comme réelles, elles le seront dans leurs conséquences. »

28En second lieu, l’attribution de races à des populations humaines est liée à des processus de subordination et d’infériorisation sociales, comme la colonisation, les conquêtes territoriales ou la limitation des droits et de l’usage de ressources matérielles et symboliques. Il s’agit donc d’un processus de domination et d’exploitation où cette catégorie symbolique – la race – est attribuée à des groupes ou populations en situation subalterne. L’assomption raciale de la part des populations dominées est donc pensée par la sociologie comme une imposition, comme un élément du processus de domination qui culmine dans la construction des identités sous des contraintes morales, sociales et politiques. Ce que Marx a appelé l’aliénation est sans doute en mesure de définir plus précisément ce que les auteurs pensent en général de cette forme de construction de l’identité, à savoir une conscience de soi acquise à partir des catégories de symbolisation de l’autre.

29Les sociologues se sont référés à ce processus de construction de groupes raciaux en utilisant le terme de racialisation. Murji et Solomos (2005) ont consacré un ouvrage à la révision des théories et des pratiques de son usage. Sans vouloir reprendre de manière systématique leur analyse, disons simplement que la racialisation dans les Amériques a quelques traits en commun. Quels sont-ils ? D’abord, la définition du groupe (racialisé) comme constitutionnellement (biologiquement) inférieur ; ensuite, l’attribution de qualités morales, intellectuelles et psychologiques négatives, ainsi que d’une position inférieure en matière de vertu et de beauté ; puis la définition de ses habitudes alimentaires et autres manifestations culturelles comme étant peu rationnelles et primitives ; enfin l’attribution du stigmate de l’esclavage c’est-à-dire de sa déshumanisation partielle à l’époque esclavagiste. Ces traits ne sont pas vraiment différents de ceux que Norbert Elias a rassemblés sous le terme de group disgrace, à savoir l’attribution de stigmates qui finissent par constituer un groupe social s’opposant à ceux qui le catégorisent de cette manière tout en se réservant un ensemble de qualités positives qu’Elias a appelées group charisma, le charisme de groupe. Le même processus pourrait être analysé à partir de catégories scientifiques développées par Barth (1969), Bourdieu (1987), Wimmer (2013), Lamont & Molnár (2002), Wacquant (1997), etc.

30Pourquoi alors parler de racialisation et pas simplement de formation de groupes ethniques ? Sans s’attarder sur le sujet, on peut simplement dire que les processus historiques de colonisation, de réduction en esclavage et de constitution de groupes subalternes dans les Amériques sont imprégnés de certaines particularités qui doivent être prises en compte lorsqu’on se lance dans leur théorisation ou leur analyse sociale. La principale d’entre elles est que les Africains ont généralement été regroupés dans une même catégorie raciale, tandis qu’on se référait aux Amérindiens natifs sur une base ethnique.

31Ce qui se rapproche le plus des processus de racialisation des Noirs des Amériques est ce qu’ont vécu les Juifs en Europe aux XIXe et XXe siècles. Néanmoins, la construction idéologique du sionisme, et plus tard d’Israël en tant qu’État-nation, a considérablement modifié ce contexte, et la théorie générale de formation des groupes ethniques peut sans doute s’appliquer à ce dernier cas sans qu’il soit nécessaire de recourir aux théories de la racialisation.

32Quoi qu’il en soit, comme dans tous les processus d’attribution de charisme et de stigmate, leur reproduction sociale dépend de la constitution de mécanismes et d’institutions qui les naturalisent. Trois d’entre eux viennent immédiatement à l’esprit. D’abord, il est nécessaire de normaliser et de naturaliser l’appauvrissement et la ségrégation sociale des populations racialisées par l’entremise de divers processus, qui vont de la violence physique à des mécanismes de marché, comme l’accès à l’éducation et au travail, en passant par la valorisation et dévalorisation de zones résidentielles données ; ensuite, il faut nourrir par des plaisanteries, des anecdotes ou des conversations apparemment anodines les préjugés et les stéréotypes raciaux qui réactualisent les frontières de groupes (Blumer 1958 ; Elias & Scotson 1965) ; il convient enfin que les catégories de classification raciale soient utilisées de façon routinière ou deviennent légales et obligatoires en tant que catégories administratives et de recensement (Barth 1994).

33La racialisation n’opère toutefois pas au sein d’un espace social où seul un groupe social – le dominant – aurait le pouvoir d’établir des classifications et de leur attribuer des significations. S’il en était ainsi, nous serions sur un terrain de rapports sociaux de faible intensité et unilatéraux qui représenteraient quasiment une domination pure. C’est une construction abstraite visant à imaginer une limite à l’orientation de l’action. Même pendant la période esclavagiste, les historiens admettent que les populations réduites en esclavage n’ont pas pour autant été destituées du pouvoir de signifier et de re-signifier leur condition sociale, de résister et de négocier leurs conditions d’existence (Reis & Silva 1989).

34La racialisation est un processus historique de domination qui rencontre toujours une résistance de la part du groupe racialisé. Comment peut avoir lieu cette résistance ? Il est possible d’en construire analytiquement le processus et d’en repérer les manifestations au cours de l’histoire. La première d’entre elles est la dé-racialisation, lorsque le groupe discriminé a le pouvoir de refuser d’être considéré comme une race ou qu’il se dilue dans un autre groupe plus important, comme une classe sociale ou une nation, ou encore lorsqu’il réussit à s’approprier un autre marqueur symbolique, comme une foi religieuse ou un lieu d’origine. Il peut au contraire assumer la dénomination raciale et tenter de neutraliser les stigmates raciaux en se construisant des charismes raciaux spécifiques. C’est ce dernier processus qu’on qualifiera plutôt de formation raciale.

  • 6 Loïc Wacquant (2007) donne des indications fort instructives sur la notion d’habitus chez Bourdieu.

35La racialisation opère par l’entremise de la classification spontanée en termes de race d’un individu, d’un groupe ou d’un regroupement régional ou résidentiel : on qualifiera de noir(e) une personne, une entité ou un quartier. Une telle classification passe par notre perception sociale et notre appareil symbolique, vécus comme spontanés, à savoir indépendants de toute réflexion. C’est notre système classificatoire dispositionnel procédant de l’habitus qui est en jeu, comme l’a théorisé Bourdieu dans La Distinction (1979). Il convient ici de souligner que l’habitus n’est pas seulement actif dans la reproduction, mais également dans le changement social6. Pour le dire clairement, l’habitus ne garantit pas que les individus nés dans une certaine position sociale reproduisent toujours et intégralement le système de dispositions, de valeurs et de comportements de leur classe. La racialisation se réalise aussi dans des institutions, et ce système classificatoire devient réflexif en ce qu’il se cristallise en savoirs et idéologies généralement organisés et systématisés par rapport à d’autres savoirs. Cette perspective s’applique également à celles et ceux qui classifient. En effet, lorsque l’on racialise un autre, on se racialise soi-même, étant donné que classifier quelqu’un comme Noir(e) implique presqu’instantanément de se placer du côté du Blanc, du Métis, du Jaune, ou d’autre désignations du même acabit. Historiquement, il n’existe pas de « race noire » sans « race blanche », ou d’Africains sans Européens. Toutefois, cette logique peut s’avérer trompeuse : celui qui a le pouvoir de classifier les autres recherche pour lui-même la transcendance, l’universalité, un espace symbolique et spirituel à même de dépasser le corps, les limites biologiques ou le ghetto (espaces de confinement, d’isolement et de ségrégation). Il s’approprie enfin un charisme de groupe, tel que l’a conceptualisé Elias.

La formation raciale

36Il s’agit maintenant de mieux théoriser le concept de « formation raciale », qui permet de rendre compte de la troisième possibilité de résister à la racialisation, à savoir la transformation des stigmates en charismes. C’est précisément pour témoigner de l’agentivité des subalternes et des racialisés qu’il est nécessaire d’analyser plus en détails le concept de formation raciale élaboré par Omi et Winant (1994).

37Le plus souvent, racialisation et formation raciale sont indifféremment employées pour se référer à un unique processus (Murji & Solomos 2005). Dans leur définition du concept de formation raciale, Omi et Winant (1994) ont néanmoins tenté de mieux les distinguer.

Le processus de construction des races [race making] et ses réverbérations sur l’ordre social est ce nous appelons la formation raciale [racial formation]. Nous définissons la formation raciale comme le processus socio-historique par lequel des identités raciales sont créées, utilisées, transformées et détruites [...]. Nous proposons le concept de racialisation [racialization] pour insister sur la façon dont les phénotypes, la dimension physique des corps humains acquièrent une signification dans la vie sociale. (Omi & Winant 1994, 109)

38Ces auteurs ont donc commencé à employer le terme de racialisation pour se référer au résultat des actions sociales et des luttes symboliques de classification raciale, tandis qu’ils interprétaient la formation raciale comme l’ensemble du processus social et politique de classification et reclassification. Dans la racialisation, ils font abstraction des agents pour se concentrer sur le processus de signification et réservent le terme à la construction historique du sens des marques corporelles dans le monde social. Pour la formation raciale, il s’agit de mettre en avant le résultat de la lutte entre agents de domination et de résistance pour la construction de l’hégémonie et de la contre-hégémonie (Gramsci 1948-1951).

39Dans les faits, pour Omi et Winant, la notion de formation raciale vise à étendre la notion marxiste de formation sociale (formation socio-économique) et prend en considération le fait que la race constitue un marqueur central dans la vie sociale nord-américaine, dont la signification et les conséquences sont négociées entre les groupes sociaux et les sujets politiques. C’est pour cela qu’Omi et Winant parlent de despotisme racial, de démocratie raciale, de politique raciale, d’hégémonie raciale, de domination raciale, de projet racial ou de résistance raciale.

40La conceptualisation de la racialisation par Omi et Winant, en ce qu’elle fait abstraction des agents sociaux actifs dans la lutte symbolique pour la classification et la signification, a été assez peu utilisée. Il s’agit donc ici d’opérer cette distinction de façon différente. Si l’on prend en considération que nous avons affaire à un processus social de formation de groupes, où les agents sociaux sont toujours actifs, à l’exception de cas idéaux-typiques de domination complète ou d’extermination, on gagnerait à réserver le terme de « racialisation » au processus qui transforme un ensemble d’individus en un « groupe racial » subalterne, ou simplement en « race », à partir de caractéristiques physiques héréditaires, régulées par la reproduction biologique, prises en compte de manière arbitraire, mais justifiées par une idéologie relativement consistante, parfois sur des bases considérées comme scientifiques. Ainsi, les individus des différents peuples capturés en Afrique et transportés comme esclaves vers le Brésil colonial et impérial ont par exemple été transformés jusqu’à aujourd’hui en « Noirs », « nègres » et « hommes de couleur ». Il s’est agi d’une racialisation d’hommes libres au sein d’un ordre esclavagiste (Mattos 2009), qui donnera lieu à une racialisation postérieure lors des luttes abolitionnistes et de la Première République (Albuquerque 2009). Néanmoins, comme pour toute racialisation, elle était loin d’être définitive. Temporellement délimitée, elle constituait plutôt un processus social en constante évolution, justement parce que des individus et des groupes opposaient de fortes résistances au fait d’être racialisés.

41La « formation raciale » est un concept que je préfère appliquer ici au processus de construction d’une contre-identité raciale positive, à une pratique politique contre-hégémonique de formation de collectifs raciaux, et pas seulement d’individus. Il s’agit de chercher à transcender les marques corporelles, non pas pour les nier, mais pour les présenter comme porteuses de valeurs universelles. Comme le veut notre discipline, de tels phénomènes ne constituent pas une simple agrégation de volontés individuelles (Durkheim 1895). Ils disposent d’une réalité propre qui se cristallise en représentations et actions collectives procédant de structures sociales et de situations historiques particulières. Il s’agit d’un processus impliquant des agents, tantôt individuels tantôt collectifs, et des institutions. Cela revient à dire que des leaders, des mouvements sociaux et des appareils (étatiques ou non), tout comme les marchés, sont présents dans la formation raciale.

42Il semble bien qu’en faisant la distinction entre ces concepts pour les appliquer à des processus distincts, nous puissions gagner en clarté et en précision sans trop nous éloigner de la proposition initiale d’Omi et Winnant. Une telle distinction conceptuelle est encore plus nécessaire si l’on prend en compte le fait que, comme nous l’avons postulé, tout groupe racialisé, subalternisé, lutte contre la racialisation. La formation raciale a ainsi la particularité d’être un combat où les subordonnés ne cherchent pas à se déracialiser, mais plutôt à inverser les signaux diacritiques de la subordination et donc à transformer les stigmates en charismes.

Résistances à la racialisation

  • 7 Voir, pour le Brésil, Von Martius & Rodrigues (1956) et pour la Colombie, le livre déjà classique d (...)

43Le cas des Noirs brésiliens permet d’examiner les trois formes de résistance à la racialisation énumérées antérieurement. Comme je l’ai déjà précisé, on peut résister à la racialisation, et cela a été le cas au Brésil, par la formation nationale, voire régionale. La tentative de définir la nation à partir du mélange de trois races, où celles-ci ne survivent que comme filtres pour la définition de « couleurs » propres au métissage, a constitué une stratégie s’opposant à une racialisation pure et simple de collectifs qui mènerait à des polarités. Au Brésil, cette stratégie a été utilisée depuis le milieu du XIXe siècle7. Dans ce cas, la racialisation n’a pas réussi à former des collectifs (races) en mesure de s’auto-définir grâce à une importante action politique. Étant tous Brésiliens, nous savions que nos différentes « couleurs » étaient issues du métissage. Les couleurs étaient ainsi considérées comme un accident mineur. Nous aurions tous émergé d’un mélange racial : des plus noirs aux plus blancs, des plus foncés aux plus clairs. Cette croyance sera d’ailleurs consacrée par les sciences biologiques dans le courant du XXe siècle : il n’existerait pas de races humaines pures mais seulement des populations en proie à divers degrés d’isolement. Dans ses effets individuels, la couleur constituait un trope pour la race (Guimarães 1999), mais rendait la formation raciale plus difficile au niveau collectif. Néanmoins, si l’on peut théoriser une telle formation nationale des Noirs comme une forme particulière d’opposition à la racialisation, ce mode de résistance n’aura pas empêché, dans le concert des nations, l’identité nationale brésilienne dans son ensemble d’être elle-même racialisée. En effet, la tentative domestique de substituer la couleur à la race a rencontré ses limites au sein de l’ordre international. Cela explique pourquoi les formations nationales latino-américaines ont tant de difficultés à se débarrasser du sentiment colonial d’infériorité nationale que Nelson Rodrigues (1993 [1958]) a si bien qualifié de « complexe du bâtard ».

44La résistance à la racialisation à travers une formation nationale définissant la nation comme un mélange de races et la couleur comme un ensemble de traits objectifs réels a ainsi constitué une stratégie au succès partiel.

45D’autres groupes racialisés ont fait appel à une autre stratégie : former de nouveaux groupes ethniques définis par des traits culturels, par la religion ou par l’origine nationale, tels que les Juifs ou les Japonais. Toutefois, à la différence de ces peuples formés en diaspora ou issus de l’immigration, les millions d’Africains réduits en esclavage pour être amenés aux Amériques et leurs descendants ne se sont pas constitués en tant qu’ethnies dans leurs nouveaux habitats, mais bien en tant que race (qu’elle soit assumée ou attribuée). Cela a été en grande partie dû à la politique esclavagiste, même si de nouvelles ethnies (Nagô, Fon, Jeje, etc.) ont pu se recréer dans certaines parties du Nouveau Monde.

46Sur le long terme, les descendants d’Africains ont continué à être définis négativement ou positivement en raison de caractéristiques physionomiques et phénotypiques, et non en fonction de leur culture ou de leur nationalité d’origine. Dans les Amériques, et même au Brésil, où des traits des cultures ramenées d’Afrique ont profondément marqué la culture populaire et se sont fondus dans la culture nationale et les identités régionales, seule la mobilisation de la race leur a permis, en tant que collectif, de mettre en avant leurs revendications pour l’obtention de droits civils. Pour les Noirs, comme l’a bien souligné DuBois (1903), la double conscience de la race et de l’appartenance nationale a été et continue de constituer une importante possibilité d’intégration sociale et politique.

47Il est vrai que dans le cas des Noirs, la culture et la religion ont servi de noyau à partir duquel l’identité sociale a pu se développer et se solidifier. Des coutumes alimentaires et de loisirs – comme la samba et la feijoada créolisée par les cuisinières noires – ou encore religieuses – comme le culte de certains saints, le candomblé, le xangô ou le batuque – ont servi de base pour regrouper plus durablement des personnes socialement très diverses, mais qui partageaient dans la « couleur », à savoir dans la race attribuée, une spécificité négativement valorisée par la formation nationale, et dans les préjugés de couleur des pratiques à même d’actualiser les différences. Il ne s’agit donc pas de nier le rôle de la spécificité culturelle dans la formation raciale des Noirs. Il s’agit plutôt de souligner le fait que la principale référence identitaire d’autres peuples diasporiques a toujours gravité autour de symboles culturels offerts par la nation ou la religion d’origine, tandis que dans le cas des Noirs, une telle référence n’a jamais été aussi puissante que la race, qui constitue le principal marqueur diacritique de l’identité collective.

48Ce seul fait résume la grande différence entre les Noirs d’Occident et les autres peuples formés en diaspora, qui se sont au contraire cristallisés en minorités ethniques et religieuses aux côtés d’autres minorités apparues à l’époque moderne dans les États-nations européens. Dans ces cas, la « double conscience » ne s’est pas manifestée car la pluralité de leurs identités sociales relevait des variations admises par l’État-nation républicain et démocratique : ils étaient porteurs de spécificités religieuses et culturelles, de la même manière que d’autres collectifs étaient porteurs de sous-cultures régionales, ethniques ou religieuses. Au Brésil, ils ont continué à être des Brésiliens communs, tout comme les protestants, les évangéliques ou les spirites le sont aux côtés des catholiques.

49Comme les Noirs, les descendants des Japonais s’étant installés dans les Amériques ont continué d’une certaine manière à se différencier, en termes de phénotype, des autres Américains et Brésiliens, et ce en fonction de leur degré de métissage. Ils ont néanmoins pu résister avec plus de succès à la racialisation en se concentrant sur la référence nationale de leur origine, qui est beaucoup plus forte que la désignation en tant que race jaune qu’a voulu leur imposer l’imaginaire raciste. Ainsi, en lieu et place de la race, on les a traités et les traitent toujours comme descendants d’étrangers, Japonais, Chinois, Coréens ou encore Indiens.

La formation raciale au Brésil

50Pourquoi les Noirs brésiliens ont-ils récemment commencé à se former en tant que race dans l’arène politique ? Il existe deux principaux types de récits pour expliquer pourquoi la formation raciale a récemment prévalu au Brésil. C’est Bourdieu et Wacquant (1998) qui ont le mieux défendu le premier d’entre eux, avec un argument ingénieux sur l’impérialisme culturel des États-Unis d’Amérique, un argument plus tard renforcé par les sociologues qui défendaient un lien interne entre le néolibéralisme, la mondialisation et le multiculturalisme (Hale 2005 ; Kymlicka 2003). Dans les faits, la récente formation raciale ayant eu lieu au Brésil fait partie d’un processus général de formation de groupes sociaux qui a pris forme durant la résistance au régime militaire pour se poursuivre et se renforcer durant la reconstruction démocratique des années 1980 et 1990 (Sader 1988). Ce processus a, sans aucun doute, été facilité par les politiques de droits de l’homme mises en pratique aussi bien par des organisations internationales (UNESCO, ONU, OIT) que par des institutions philanthropiques (Ford, Mellon, etc.), parallèlement au réalignement des pays latino-américains sur les politiques néolibérales du consensus de Washington.

51Le second récit, auquel je souscris ici, défend l’argument selon lequel, au-delà de la pertinence des facteurs internationaux, la principale force sous-jacente à cette tendance a été la résistance politique organisée contre le régime autoritaire, alimentée de l’intérieur par des institutions comme l’Église catholique, les partis d’opposition, les syndicats ou encore les associations culturelles et de quartier. Ces forces internes et externes ont obligé les groupes sociaux qui ont soutenu les militaires à accepter les avancées de l’agenda des droits de l’homme.

52Il convient ici de rappeler que l’assomption de la race attribuée grâce au retournement de la signification des marqueurs diacritiques ne constitue pas un phénomène sui generis ou restreint aux seuls Brésil et États-Unis. Ce qui est singulier dans le cas des États-Unis tient au fait que la discrimination et la ségrégation raciales, beaucoup plus fortes, ont empêché une intégration nationale plus complète, contrairement à des pays comme le Brésil, Cuba ou la Colombie (Paschel 2016), et coupé court à une quelconque résistance par le biais de la déracialisation.

53Au Brésil, à partir des années 1980, les Noirs, en s’organisant politiquement, ont frontalement rejeté le blanchiment et tenté d’imposer une notion historique, politique ou ethnique de la race. Dès lors, des significations non biologiques ont été mises en avant. Ainsi, lorsqu’on se réfère à l’histoire, la notion auto-attribuée de race réunit des personnes ayant vécu une expérience commune d’oppression ; lorsqu’il s’agit de politique, il se crée une association autour de revendications ; avec l’ethnie, l’usage de la race auto-attribuée veut créer un sentiment de communauté à partir de la culture. Dans tous les cas, les nuances de couleur sont considérées comme contre-productives pour la mobilisation politique autour des droits et l’idée de race devient stratégiquement plus adéquate pour regrouper l’ensemble (ou la majorité) des subalternes : l’objectif est donc devenu de regrouper Noirs et Métis dans une seule et unique catégorie discrète (discontinue), à laquelle on se réfère avec le terme « Afro-descendants », voire simplement « Noirs ».

54Ce mouvement a eu des conséquences durables, notamment sur la manière dont la classification par couleur avait été historiquement mise en œuvre. Les nuances de couleur ont été affaiblies par la réintroduction du terme « race » dans le discours public et par son apparition dans les statistiques officielles. Donnons un exemple : l’Institut brésilien de géographie et de statistiques a mené une recherche (IBGE 2008) visant à comprendre quelles étaient les dimensions mobilisées par les personnes recensées lorsqu’on leur demandait de se classer elles-mêmes par couleur ou par race. Le résultat a montré une augmentation de l’importance de la catégorie « couleur de peau » et la permanence des catégories de la raciologie du XIXe siècle, notamment celles qui s’appuient sur les traits physiques. Elle souligne par ailleurs l’apparition de nouvelles dimensions classificatoires utilisant la catégorie de « race » issue de l’activisme politique noir. En résumé, l’ancien système de classification raciale par couleur subit au Brésil des modifications progressives à mesure que l’idéal de blanchiment perd de sa force (Guimarães 2012a). Nous assistons probablement non seulement à une reclassification instrumentale et conjoncturelle des individus selon des catégories qui demeurent les mêmes, mais également à la transformation de la signification culturelle et symbolique de ces mêmes catégories.

55Si l’existence d’un processus de formation raciale dans l’histoire brésilienne semble ne pouvoir être mise en doute, il reste à comprendre pourquoi il s’est substitué à la déracialisation qu’on cherchait à mettre en œuvre depuis la Première République.

56Comme nous l’avons déjà souligné ici, il y a bien eu des tentatives visant à faire de l’appartenance nationale et non de la race le marqueur prioritaire de l’identité noire dans les Amériques. Les identités nationales consolidées entre les années 1920 et 1950 dans la Caraïbe et en Amérique du Sud en constituent des témoignages sans équivoque. Les nations caribéennes et latino-américaines ont pour la plupart réussi à se forger une nouvelle identité méta-raciale où le métissage perd sa qualité de stigmate d’infériorité raciale pour se transformer en charisme, c’est-à-dire en un marqueur diacritique positif. Lorsque cela a pris corps, les Noirs ont été poussés à s’éloigner culturellement et sentimentalement du continent d’origine pour devenir des nationaux à 100% de ces nouveaux États américains. Seuls les pays américains pouvaient désormais être leur nation. Alberto Guerreiro Ramos (1995 [1957]) a souligné avec raison, ainsi que quelques autres de sa génération, que c’était bien eux, les Noirs, les véritables Brésiliens, à savoir ceux qui ne peuvent revendiquer aucune autre nationalité ou culture. Les Noirs ne peuvent donc avoir d’autre identité nationale que celle de Brésilien. « Noir est le peuple brésilien » disait Guerreiro.

57On peut se risquer à dire que la force permanente de la racialisation a été l’un des éléments qui a alimenté la formation raciale actuelle. Autrement dit, les stéréotypes raciaux qui identifiaient les Noirs en tant que noirs, comme si la couleur était quelque chose d’insurmontable attribué par la définition-des-autres, ont toujours prévalu sur la définition nationale faite-par-soi-même. Plus qu’un accident, la couleur était un signe diacritique de l’infériorité sociale. Ce résidu de racialisation n’a jamais disparu.

58Le processus de métissage a connu un certain succès si l’on prend comme critère le fait qu’une bonne partie des métis se sont détachés des références culturelles africaines ou indigènes, les métis les plus clairs ayant même réussi à s’assimiler complètement au monde culturel et sentimental latino-américain d’expression européenne. On entend ici par expression européenne le fait que ces mondes métis latino-américains ont conservé les valeurs européennes comme références ultimes de leur identité. Ce qui restait de culture africaine ou indigène a été graduellement absorbé par les cultures nationales.

59Mais ce relatif succès a vite trouvé ses limites dans la persistance du sentiment d’infériorité métisse, dans les préjugés de couleur et dans l’amplification des inégalités sociales entre Noirs et Blancs en découlant. La race est ainsi demeurée un référentiel important, soit pour alimenter le complexe d’infériorité, les préjugés et la discrimination, soit en vue de la construction d’identités raciales de combat et d’affirmations sociales et culturelles de la part de ceux qui n’ont pas pu être pleinement absorbés par le projet de métissage ou qui l’ont toujours combattu. On a des exemples au Brésil de ces mouvements raciaux positifs de contestation avec le Frente Negra Brasileira (années 1930), le Teatro Experimental do Negro (années 1950) ou le Movimento Negro Unificado (années 1980), parmi beaucoup d’autres de moindre répercussion sur la vie politique nationale.

60La race et la couleur, et non pas la « nation », étaient les références de ces mouvements. Les anciennes nations africaines de l’époque de la traite négrière avaient été abandonnées et ne persistaient que comme dénominations coloniales ou instruments de généalogie culturelle. Il n’y eut donc jamais de référence nationale moderne africaine à opposer à la stéréotypisation raciale.

61L’unique mobilisation possible pour unifier politiquement les Noirs, ou plutôt ceux qui sont traités comme Noirs, a donc été la notion de race. C’est pour cela qu’elle a été théoriquement retravaillée par les mouvements sociaux pour lui retirer toute son aigreur raciste (celle qui prône la supériorité raciale). De la « race-définie-par-les-autres », négativement, à partir de la généralisation pars pro toto de déficiences morales, biologiques ou sociales, on est ainsi passé à la « race-définie-par-soi », en généralisant des charismes grâce à des marqueurs culturels et historiques.

Politique de classe et politique raciale

62D’un côté, la formation nationale du Brésil, en tant que peuple métissé, n’a effectivement pas réussi à s’opposer à la racialisation, parce qu’elle a laissé prospérer parmi nous un certain sentiment d’infériorité de peuple métis (Rodrigues 1993 [1958]) ; de l’autre s’est également imposé un système de classification raciale qui a restreint la race noire aux seuls individus considérés comme ayant un phénotype très marqué, sans réellement transformer le Brésil en un pays post-racialiste.

63Par ailleurs, il nous a manqué jusqu’aux années 1970 la formation d’une classe aux idéologies, valeurs et intérêts bien définis pouvant intégrer les Noirs en tant que travailleurs. Il convient de rappeler que des sociologues comme Alain Touraine (1961), Fernando Henrique Cardoso (1961) et Juarez Brandão Lopes (1961) se sont déjà lamentés de l’absence de conscience de classe de nos ouvriers industriels d’origine rurale, qui ont été absorbés par des syndicats clientélistes. C’est ainsi qu’a prévalu, durant l’après-guerre, une homologie entre les récits négatifs sur la nation, sur les classes sociales et sur les races. Les formations de classe et de race des années 1970 et 1980 se sont opposées à cet imaginaire stigmatisant d’une nation de métis sans race et sans classe.

64Toutefois, dans le cas des Noirs, il faut répéter que la race (et parfois la couleur) a toujours constitué un marqueur primordial pour le destin personnel de toute personne noire au Brésil. Ainsi, l’ascension sociale, l’embourgeoisement, le succès personnel, la célébrité, la culture personnelle ou encore la maîtrise des formes européennes d’expression n’ont jamais empêché qu’un Noir soit considéré comme tel.

65En d’autres termes, la formation de classe n’a pas été capable d’annuler les effets matériels de la racialisation, et les travailleurs noirs, même structurés en classe, ont toujours pu facilement constater de quelle manière la classe ouvrière était elle-même racialisée, soit parce que les classes ont acquis des marqueurs phénotypiques plus durables (être Noir est par exemple devenu synonyme de pauvreté), soit parce que la discrimination raciale a empêché que les notions raciales disparaissent complètement au profit de la solidarité de classe.

66Il existe également une tradition historique qui a facilité la formation raciale. On peut trouver depuis la Première République des politiciens se définissant comme Noirs et assumant le rôle de porte-paroles du peuple noir (Dantas 2010 ; Domingues 2013). La croyance en une nation métisse, qui a servi de contrepoint à la racialisation, n’a donc pas annulé une sorte de multiracialisme pas entièrement assumé ; elle l’aurait même plutôt encouragé. Dans les moments de crise de la nationalité brésilienne métisse, presque toujours aiguisés par des crises économiques et politiques, on a systématiquement pu assister à la mise en œuvre de projets de formation raciale, comme cela a été le cas dans les années 1930 ou lors des processus de re-démocratisation des années 1940 et 1970. Depuis le début de notre IIIe République, en 1988, nous faisons l’expérience d’un processus de formation de ce type, ravivé par les luttes politiques victorieuses en vue de la reconnaissance de la spécificité culturelle des Afro-descendants et par la mise en œuvre de discriminations positives dans différents contextes.

67Durant les trois périodes républicaines, nous avons pu constater une constante oscillation entre formes personnelles et forme bureaucratiques de pouvoir, rompue quand des formes de domination par des mécanismes de marché ont prévalu sur des formes directes. Ceci a impliqué une lente transition d’un ordre hiérarchisé par le statut social des individus vers un ordre régulé par le marché des biens et services, c’est-à-dire par la hiérarchie des classes sociales. Finalement, dans le contexte des années 1980, la classe travailleuse n’est plus seulement définie en fonction d’une situation de marché ou de rapport aux moyens de production, elle est également devenue une communauté formée à partir d’attitudes, de valeurs et de formes de représentation de soi, y compris au niveau du système électoral.

68Dans le Brésil actuel, la formation de la classe travailleuse en parti politique n’a paradoxalement pas mené à la disparition « politique » des Noirs, comme lors de la Deuxième République (1945-1964), mais plutôt à son resurgissement, avec l’arrivée dans l’arène politique et institutionnelle de revendications leur étant propres et devant être négociées comme telles. Et la même chose s’est passée avec quasiment tous les groupes ethniques d’Amérique latine, à l’instar des peuples indigènes. Nous assistons ainsi à une reformulation générale de l’État national autour de revendications de droits citoyens s’exprimant également en termes raciaux et ethniques (Boyer 2014 ; Mitchell 2017). Auparavant défini dans les seuls termes de son idéologie de classes (en s’autoproclamant démocratie raciale), l’État brésilien adopte aujourd’hui des structures de représentation et d’opportunités multiethniques et raciales pour combattre des inégalités sociales spécifiques.

Haut de page

Bibliographie

Albuquerque, Wlamyra. 2009. O jogo da dissimulação: abolição e cidadania negra no Brasil. São Paulo: Companhia das Letras.

Arendt, Hanna. 1963. Eichmann in Jerusalem: A Report on the Banality of Evil. New York: Viking Press [trad. française (1991) : Eichmann à Jérusalem : rapport sur la banalité du mal. Paris : Gallimard].

Azevedo, Thales de. 1956. « Classes sociais e grupos de prestígio. » Arquivos da Universidade Federal da Bahia 5: 81-91.

Banton, Michael. 1977. The Idea of Race. Londres: Tavistock.

Banton, Michael 2012. « The Colour Line and the Colour Scale in the Twentieth Century. » Ethnic and Racial Studies 35 (7): 1109-1131.

Barth, Frederik. 1969. « Introduction. » In Ethnic groups and its boundaries, par Frederik Barth, 9-38. Bergen & Oslo/Londres: Universitets Forlaget/George Allen and Unwin.

Barth, Fredrik. 1994. « Enduring and Emerging Issues in the Analysis of Ethnicity. » In The Anthropology of Ethnicity: Beyond “Ethnic Groups and Boundaries”, dirigé par Hans Vermeulen & Cora Govers, 11-31. Amsterdam: Het Spinhuis.

Beck, Ulrich. 2003. « Toward a New Critical Theory with a Cosmopolitan Intent. » Constellations 10 (4): 453-468.

Bilge, Sirma. 2013. « Intersectionality Undone: Saving Intersectionality from Feminist Intersectionality Studies. » DuBois Review: Social Science Research on Race 10 (2): 405-424.

Blumer, Herbert. 1958. « Race Prejudice as a Sense of Group Position. » The Pacific Sociological Review 1(1): 3-7.

Bourdieu, Pierre. 1979. La Distinction. Critique sociale du jugement. Paris : Éditions de Minuit.

Bourdieu, Pierre. 1987. « What Makes a Social Class? On The Theoretical and Practical Existence of Groups. » Berkeley Journal of Sociology (32):1-17.

Bourdieu, Pierre. 2003. « Advocating a “Genethics”. » In Backdoor to Eugenics, par Troy Duster, vi-vii. Londres: Routledge.

Bourdieu, Pierre & Loïc Wacquant. 1998. « Sur les ruses de la raison impérialiste. » Actes de la Recherche en Sciences Sociales 121-122: 109-118.

Boyer, Véronique. 2014. « Misnaming Social Conflict: “Identity”, Land and Family Histories in a Quilombola Community in the Brazilian Amazon. » Journal of Latin American Studies 46: 527-555.

Brubaker, Roger. 2002. « Ethnicity Without Groups. » Archives européennes de sociologie XLIII (2) : 163-189.

Carastathis, Anna. 2014. « The Concept of Intersectionality in Feminist Theory. » Philosophy Compass 9 (5): 304-314.

Cardoso, Fernando Henrique. 1961. « Le prolétariat brésilien. Situation et comportement social. » Sociologie du travail. 3 (4) : 362-377.

Dantas, Carolina Vianna. 2010. « Monteiro Lopes (1867-1910), um “líder da raça negra” na capital da República. » Afro-Ásia 41: 167-209.

Domingues, Petrônio. 2013. « "Vai ficar tudo preto": Monteiro Lopes e a cor na política. » Novos Estudos – CEBRAP 95: 59-81.

DuBois, William Edward Burghardt. 1903. The Souls of Black Folk: Essays and Sketches. Chicago: A. C. McClurg & co.

DuBois, William Edward Burghardt. 2006 [1897]. « La préservation des races (1897). » Raisons politiques 21 (1) : 117-130. Disponible sur : https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2006-1-page-117.htm (consulté le 18 mars 2018).

Durkheim, Émile. 1895. Les Règles de la méthode sociologique. Paris : Félix Alcan.

Duster, Troy. 2003. Backdoor to Eugenics. Londres: Routledge.

Duster, Troy. 2006. « Comparative Perspectives and Competing Explanations: Taking on the Newly Configured Reductionist Challenge to Sociology. » American Sociological Review 71 (1): 1-15.

El-Haj, Nadia. 2007. « The Genetic Reinscription of Race. » Annual Review of Anthropology 36: 283-300.

El-Haj, Nadia. 2012. The Genealogical Science: Genetics, the Origins of the Jews, and the Politics of Epistemology. Chicago: The University of Chicago Press.

Elias, Nobert. 1981. Qu'est-ce que la sociologie ? Paris : Pandora.

Elias, Nobert. 1998. « Group Charisma and Group Disgrace. » In The Nobert Elias Reader, dirigé par Johan Goudsblom & Stephen Mennell, 104-112. Londres: Blackwell Publishers.

Elias, Nobert & John L. Scotson. 1965. The Established and the Outsiders. Londres: Frank Cass & Co. Ltd. [trad. française (1997) : Logiques de l’exclusion. Paris : Fayard].

Fields, Karen. E. & Barbara. J. Fields. 2012. Racecraft: the Soul of Inequality in American Life. Londres & New York: Verso.

Goffman, Erving. 1963. Stigma: Notes on the Management of Spoiled Identity. Londres: Penguin.

Gramsci, Antonio. 1948-1951. Quaderni del carcere. Turin: F. Platone & Einaudi [trad. française (1978-1996) : Les Cahiers de prison. 5 vols. Paris : Gallimard].

Grusky, David & Gabriela Galescu. 2007. « Foundations of Neo-Durkheimian Class Analysis. » In Approaches to Class Analysis, dirigé par Erik Olin Wright, 51-81. Cambridge: Cambridge University Press.

Guimarães, Antonio Sérgio Alfredo. 1999. Racismo e Antirracismo no Brasil. São Paulo: Editora 34.

Guimarães, Antonio Sérgio Alfredo. 2012a. « The Brazilian System of Racial Classification. » Ethnic and Racial Studies 35 (7): 1157-1162.

Guimarães, Antonio Sérgio Alfredo. 2012b. « Sociology and Racial Inequality: Challenges and Approaches in Brazil. » In Comparative Perspectives on Afro-Latin America, dirigé par Kwame Dixon & John Burdick, 305-324. Gainsville: University Press of Florida.

Guimarães, Antonio Sérgio Alfredo. 2016a. « Formações nacionais de classe e raça. » Tempo Social 28 (2): 161-182.

Guimarães, Antonio Sérgio Alfredo. 2016b. « Sociologie et nature : classes, races et sexes. » In Genre, race, classe: travailler en France et au Brésil, dirigé par Nadya Guimarães, Margaret Maruani & Bila Sorj. 25-38. Paris : L’Harmattan.

Hale, Charles. 2005. « Neoliberal Multiculturalism: The Remaking of Cultural Rights and Racial Dominance in Central America. » PoLAR: Political and Legal Anthropology Review 28 (1): 10-28.

Hancock, Ange-Marie. 2007. « When Multiplication Doesn’t Equal Quick Addition: Examining Intersectionality as a Research Paradigm. » Perspectives on Politics (51): 63-79.

Harris, Marvin & Conrad Kotak. 1963. « The Structural Significance of Brazilian Categories. » Sociologia XXV (3): 203-208.

IBGE. 2008. Pesquisa das características étnico-raciais da população. Rio de Janeiro: Diretoria de Pesquisas, Coordenação de População e Indicadores Sociais.

Kergoat, Danielle. 2010. « Dinâmica e consubstancialidade das relações sociais. » Novos Estudos CEBRAP (86): 93-103.

Kymlicka, Will. 2003. Politics in the Vernacular: Nationalism, Multiculturalism, and Citizenship. Oxford: Oxford Scholarship Online. DOI: 10.1093/0199240981.001.0001.

Lamont, Michèle & Virág Molnár. 2002. « The Study of Boundaries in the Social Sciences. » Annual Review of Sociology 28: 167-195.

Lamont, Michèle et al. 2016. Getting Respect: Responding to Stigma and Discrimination in the United States, Brazil, and Israel. Princeton: Princeton University Press.

Linz, Juan J. & Alfred Stepan. 1978. The Breakdown of Democratic Regimes. Baltimore & Londres: Johns Hopkins University Press.

Lopes, Juarez Brandão. 1961. « Industrialisation et conscience ouvrière à São Paulo. » Sociologie du travail 3 (4) : 389-407.

Lykke, Nina. 2011. « Intersectional Analysis: Black Box on Useful Critical Feminist Thinking Technology. » In Framing Intersectionality. Debates on a Multi-Faceted Concept in Gender Studies, dirigé par Helma Lutz, Maria Teresa Herrera Vivar & Linda Supik, 207-220. Londres: Routledge.

Mitchell, Sean T. 2017. Constellations of Inequality: Space, Race, and Utopia in Brazil. Chicago: The University of Chicago Press.

Murji, Karim & John Solomos. 2005. Racialization: Studies in Theory and Practice. Oxford: Oxford University Press.

Nash, Jennifer. 2008. « Re-Thinking Intersectionality. » Feminist Review 89: 1-15.

Omi, Michael & Howard Winant. 1994. Racial Formation in the United States: From the 1960s to the 1990s. New York: Routledge.

O'Donnell, Guillermo A. et al, dir. 1977. O Estado na América Latina. São Paulo: Centro de Estudos de Cultura Contemporânea.

Paschel, Tianna S. 2016. Becoming Black Political Subjects: Movements and Ethno-Racial Rights in Colombia and Brazil. Princeton: Princeton University Press.

Przeworski, Adam. 1977. « Proletariat into a Class: The Process of Class Formation from Karl Kautsky’s The Class Struggle to Recent Controversies. » Politics & Society (7): 343-401.

Ramos, Alberto Guerreiro. 1995 [1957]. Introdução crítica sociologia brasileira. Rio de Janeiro: Ed. UFRJ.

Reis, João José & Eduardo Silva. 1989. Negociação e conflito: a resistência negra no Brasil escravista. São Paulo: Companhia das Letras.

Rodrigues, Nelson 1993 [1958]. « O complexo de vira-latas. » In À sombra das chuteiras imortais – crônicas de futebol, dirigé par Ruy Castro, 51-52. São Paulo: Companhia das Letras. [éd. orig. : Manchete esportiva, 31 mai 1958].

Sader, Eder. 1988. Quando novos personagens entraram em cena: experiências, falas e lutas dos trabalhadores da Grande São Paulo (1970-80). Rio de Janeiro: Paz e Terra.

Santos, Wanderley Guilherme dos. 1979. Cidadania e justiça: a política social na ordem brasileira. Rio de Janeiro: Editora Campus.

Sartre, Jean-Paul 1948. « Orphée Noir. » In Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française, dirigé par Léopold Sédar Senghor, iv-xliv. Paris : PUF.

Thomas, William Isaac & Dorothy Swaine Thomas. 1928. The Child in America: Behavior Problems and Programs. New York: Knopf.

Touraine, Alain. 1961. « Ouvriers et syndicats d’Amérique latine. » Sociologie du travail. 3 (4) :389-407.

Von Martius, Karl Friedrich & José Honório Rodrigues. 1956. « Como se deve escrever a História do Brasil. » Revista de História de América 42: 433-458.

Wacquant, Loïc. 1997. « For an Analytic of Racial Domination. » Political Power and Social Theory 11: 221-234.

Wacquant, Loïc. 2007. « Esclarecer o Habitus. » Educação & Linguagem 10 (16): 63-71.

Wade, Peter. 1993. Blackness and Race Mixture: the Dynamics of Racial Identity in Colombia. Baltimore & Londres: Johns Hopkins University Press.

Wade, Peter et al. 2014. Mestizo Genomics: Race Mixture, Nation, and Science in Latin America. Durham & Londres: Duke University Press.

Wagley, Charles 1952. « Comment les classes ont remplacé les castes dans le Brésil septentrional. » In Races et classes dans le Brésil rural, dirigé par Charles Wagley, 152-167. Paris: Unesco.

Weber, Max. 1904. « Die “Objektivität” sozialwissenschaftlicher und sozialpolitischer Erkenntnis. » Archiv far So-zialwissenschaft und Soszalpolitik 1: 22-87 [trad. française (1965) : « L’objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociales. » Essais sur la théorie de la science. Paris : Librairie Plon].

Wimmer, Andreas. 2008. « The Making and Unmaking of Ethnic Boundaries. » American Journal of Sociology 113 (4): 970-1022.

Wimmer, Andreas. 2013. Ethnic Boundary Making: Institutions, Power, Networks. Oxford: Oxford University Press.

Wimmer, Andreas & Nina Glick Schiller. 2002. « Methodological Nationalism and Beyond: Nation-State Building, Migration and the Social Sciences. » Global Networks 2 (4): 301-334.

Haut de page

Notes

1 Nous devons à Sartre, dans Orphée noir, cette observation si chère à Guerreiro Ramos dans les années 1950 : « Le nègre, comme le travailleur blanc, est victime de la structure capitaliste de notre société ; cette situation lui dévoile son étroite solidarité, par-delà les nuances de peau, avec certaines classes d’Européens opprimés comme lui ; elle l’incite à projeter une société sans privilège où la pigmentation de la peau sera tenue pour un simple accident. » (Sartre 1948, xiii)

2 La théorie sociologique des classes, à travers les études sur la mobilité sociale ou la reproduction sociale, révèle leur imperméabilité et la manière dont elles s’auto-reproduisent d’une génération à l’autre.

3 UNESCO, « Déclaration d’experts sur les questions de race », 20 juillet 1950. Document original disponible sur : http://unesdoc.unesco.org/images/0012/001269/126969fb.pdf (consulté le 14 février 2018).

4 La déclaration de 1951 intitulée « Déclaration sur la race et les différences raciales » peut être consultée dans la brochure Quatre déclarations sur la question raciales publiée par l’UNESCO en 1969 et disponible sur : http://unesdoc.unesco.org/images/0012/001281/128130fo.pdf (consulté le 14 février 2018).

5 Il convient de rappeler que dans le système de classification raciale par couleurs, tel que nous le connaissons au Brésil et qui a été étudié par la génération des sociologues des années 1950 et 1960 (Wagley 1952 ; Azevedo 1956 ; Harris & Kotak 1963), la couleur n’est pas réductible à la « couleur de peau », à sa seule tonalité. La couleur, même si c’est certainement le principal trait physique, n’est que l’un d’entre eux – aux côtés des cheveux, du nez et des lèvres – qui, conjointement avec des traits culturels – « bonnes manières », maîtrise la culture européenne, etc. – forment les nuances évolutives du blanchiment. Face à la tripartition brésilienne Noir/Métis/Blanc, on n’hésitera par exemple jamais à classer une personne de peau foncée, mais aux traits « fins » (européens) et avec une bonne scolarisation dans la catégorie Blanc. Parmi les Métis, on retrouvera les personnes aux traits physiques « négroïdes », mais à la peau claire, etc.

6 Loïc Wacquant (2007) donne des indications fort instructives sur la notion d’habitus chez Bourdieu.

7 Voir, pour le Brésil, Von Martius & Rodrigues (1956) et pour la Colombie, le livre déjà classique de Peter Wade (1993). Pour une comparaison avec le Brésil, voir Paschel (2016).

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Antonio Sérgio Alfredo Guimarães, « Classes sociales, races et nation au Brésil »Brésil(s) [En ligne], 13 | 2018, mis en ligne le 31 mai 2018, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/bresils/2453 ; DOI : https://doi.org/10.4000/bresils.2453

Haut de page

Auteur

Antonio Sérgio Alfredo Guimarães

Antonio Sérgio Alfredo Guimarães est senior professeur au département de sociologie de l’Université de São Paulo (USP).

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search