L’école, c’est aussi apprendre le vivre-ensemble 

Lundi 11 décembre 2017

Eduquer 134: Quelle école pour les enfants DYS?
 
Le système scolaire a du mal à accepter les enfants différents et ce n’est pas nouveau, constate Laurent talbot, professeur en sciences de l’éducation à l’uLB et spécialiste des pratiques d’apprentissage. Pour lui, les enfants  en difficulté doivent pouvoir apprendre avec les forts en thème. Pour le grand bénéfice des uns comme des autres.
Eduquer : Certains enfants souffrant de troubles de l’apprentissage sont dirigés vers l’enseignement spécialisé. Cela fait longtemps déjà que l’on dénonce une trop fréquente relégation des enfants en difficulté vers ce réseau. Comment expliquer ce phénomène ? L’école a-t-elle des difficultés à accepter la différence ? Laurent Talbot : Les enfants dits « anormaux » ont toujours été relégués. Ce n’est que lorsque s’est développée une volonté de démocratisation de l’école, lorsque les textes légaux ont affirmé clairement l’idée que l’école doit   accepter tous les enfants que les choses ont commencé à changer. En Belgique, cette première vague de démocratisation s’est faite à partir de 1918  avec l’obligation scolaire des enfants de 6 à 14 ans. En principe donc, les  enseignants sont tenus d’accueillir tous les élèves mais, effectivement, pour  les enfants handicapés ou souffrant de divers troubles de l’apprentissage, on a toujours souhaité les mettre à l’écart. Dans un premier temps,  il  s’agissait et il s’agit toujours d’un réflexe « bienveillant ». On pense que ces enfants ont des besoins spécifiques, doivent donc bénéficier d’une pédagogie spécifique et on les met ensemble. Mais on s’aperçoit que ce n’est pas bénéfique pour eux. Des enfants en difficulté avec des enfants en difficulté ne progressent pas. Mais  cette relégation part aussi et surtout d’une demande sociale, celle des familles. Eduquer : Celle de l’enfant concerné ou les autres?   L. T. : Les familles des enfants « normaux » ne souhaitent pas voir dans « leur » classe des enfants en difficulté. Par ailleurs des associations - je pense notamment aux parents d’enfants autistes - estiment que leurs enfants doivent être pris en charge d’une manière différente. C’est un gros écueil car on sait aujourd’hui que les enfants en difficulté, lorsqu’ils sont inclus, intégrés avec les autres, progressent même si de temps à autre des   prises en charge spécifiques doivent être assurées. Prenons le cas des enfants malvoyants. Il faut bien qu’ils apprennent  le braille mais pour le reste, ils peuvent poursuivre leur  scolarité dans une classe « normale », c’est  mieux pour eux. C’est aussi bénéfique pour les autres enfants qui peuvent ainsi être confrontés à la différence. La mission de l’école n’est pas qu’une mission d’instruction. L’école ne sert pas qu’à apprendre les  athématiques,  le français ou le néerlandais. Eduquer : L’école est cependant de plus en plus soumise à des exigences d’efficacité… L. T. : Oui, c’est tout le problème des enquêtes PISA qui montrent notamment des disparités entre Régions. On se plaint des « mauvais » résultats de l’enseignement de la Fédération Wallonie-Bruxelles mais c’est une erreur. L’école ne sert pas qu’à restituer des savoirs, elle est là aussi pour socialiser, pour apprendre  à vivre ensemble. Une certaine lecture de l’actualité - je pense aux attentats - peut être faite en ce sens. On ne peut pas instruire si  on n’éduque pas en même temps. Les enseignants ont besoin d’avoir en face d’eux des enfants socialisés. Outre l’instruction et l’éducation, la troisième mission de l’école,  ’est l’émancipation. Nous sommes fort attentifs à cela en Europe, ce n’est pas nécessairement  le cas ailleurs. Il faut permettre à un enfant de développer son esprit critique. Eduquer : Les familles ne sont sans doute pas les seules à préférer des classes homogènes, les enseignants aussi.  L. T. : Oui, la relégation est aussi le fait de certains enseignants qui se sentent démunis face à des enfants qui ont des comportements difficiles. C’est dû à la fois à une formation  initiale et continue qui n’est pas toujours à la hauteur et à  un réflexe humain : la peur face aux enfants différents, difficiles. Eduquer : Le système scolaire n’écarte pas seulement les élèves présentant des troubles de l’apprentissage. N’est-ce pas un réflexe très ancien, très fréquent face notamment aux enfants différents de manière générale ? Comme les enfants d’origine culturelle différente, issus d’un milieu défavorisé  ? Que pensez-vous des classes passerelles pour les enfants étrangers ?  L.T.: Les enfants issus de l’immigration connaissent des problèmes de connaissance de la langue au départ mais il faut les scolariser dans le système « normal » le plus tôt possible. L’école favorise un certain nombre d’ « habitus » (disposition d’esprit). Pierre Bourdieu l’a montré, il y a 50 ans déjà. Il  faut que ces enfants déchiffrent ces codes dominants,  comprennent ce que l’on attend d’eux. J’ai commencé ma carrière comme instituteur en France et j’ai vu des évolutions positives se mettre en place. Il y a une trentaine d’années, les enfants trisomiques avaient une espérance de vie beaucoup moins longue  qu’aujourd’hui et  ils n’apprenaient pas à lire. Depuis lors, les instituteurs ont été formés à la prise en charge d’enfants trisomiques. Ils ont compris que la réponse à apporter à ces gosses n’était pas le redoublement  puis la relégation dans des classes spécialisées. Aujourd’hui, en France, les enfants trisomiques restent dans les classes, suivent un   certain  nombre d’activités avec les enfants de leur âge et reviennent parfois en  première année pour des séquences spécifiques  consacrées à la lecture. Désormais les enfants trisomiques lisent dans la majorité des cas et  leur espérance de vie a augmenté, pas seulement en raison des progrès de la médecine. Le fait de vivre avec les autres enfants leur a permis de se développer. Et j’insiste : les enfants bien portants, les forts en thème ont  besoin d’être confrontés à ceux qui apprennent plus difficilement pour prendre conscience de l’altérité. Eduquer : A contrario dans certains cas, le système scolaire semble être devenu plus intolérant. Il y a 30 ans, on acceptait les enfants hyper- actifs dans les classes sans recourir à la médicamentation ou à la relégation. On  leur faisait faire le tour de la cour de récréation en courant pour les calmer… L. T. : Nous accueillons ici à l’ULB des enseignants qui sortent des hautes écoles pour poursuivre un master. Je les trouve plus sensibilisés à ces problèmes que je ne l’étais moi-même il y a 30 ans. Bien sûr, je faisais courir  les enfants trop agités mais les enseignants aujourd’hui sont confrontés à un nombre plus important d’enfants turbulents qu’auparavant. Ce sont  surtout des enfants qui manquent de repères. De manière  générale, on forme de mieux en mieux les instituteurs et les enseignants à la prise en compte des difficultés d’apprentissage.  Avant, quand un enfant échouait à l’école, c’était parce qu’il était considéré comme peu doué et son éjection du  système scolaire  ne choquait personne. C’était le règne de la méritocratie. Aujourd’hui, je constate que la prise en compte des élèves différents est une réelle préoccupation sociale, politique, scientifique. Les universités forment  les enseignants qui le souhaitent  à ces problèmes pédagogiques, ce qui n’était pas le cas auparavant. Eduquer : Il reste des résistances. Et notamment cette tension entre ceux qui veulent que l’école aille plus loin avec les plus performants…  L. T. : On assiste un peu aujourd’hui à une « ubérisation » générale de la société. Il y   30 ou 50 ans, il existait un contrôle social   dans le quartier, le village qui évaluait les  enfants agités. L’école, les parents, le voisinage connaissaient le problème  de l’enfant et les parents  n’allaient pas râler auprès de l’instituteur  parce que leur gosse s’était  fait réprimander. Aujourd’hui, les liens sociaux se sont distendus et comme, quand vous louez une chambre, une voiture, vous notez, vous évaluez, de manière anonymisée mais très forte, très explicite. On fait la même chose avec l’école. On note, on évalue la performance de l’école. L’attitude des parents est parfois très consumériste.   Martine Vandemeulebroucke, secteur communication Illustration: "A cloudy lesson" de Yezi Xue, 2011

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