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EXCLUSIF. Afghanistan, réfugiés, Irak, terrorisme... Emmanuel Macron s'explique dans le JDD

Avant son départ pour l'Irak, où il est en visite jusqu'à dimanche soir, Emmanuel Macron a tiré les leçons de l'opération d'évacuation en Afghanistan et dévoilé, pour le JDD, les axes de sa politique à venir sur les réfugiés, les flux migratoires et la coopération européenne contre le terrorisme. Il réévalue la relation avec les États-Unis et explique le sens de la présence au Sahel.

François Clemenceau , Mis à jour le
Emmanuel Macron samedi lors d'une conférence de presse à son arrivée en Irak.
Emmanuel Macron samedi lors d'une conférence de presse à son arrivée en Irak. © Reuters

Avant de s'envoler vendredi en fin d'après-midi de Paris et dès son atterrissage en pleine nuit à Bagdad, il a une nouvelle fois fait le point avec son équipe sur les dernières heures de présence française à Kaboul. À l'entendre un peu plus tôt dans son bureau de l'Elysée, Emmanuel Macron donne le sentiment d'avoir été au bout de ce qui était possible, mais une ombre dans le regard traduit la frustration de ne pas avoir pu faire plus. Comme il le confirmera à Bagdad jeudi, l'opération Agapan aura permis d'évacuer 2.834 personnes dont 2.600 Afghans, qui s'ajoutent aux 1.500 de leurs compatriotes qui avaient travaillé pour la France et qui avaient été exfiltrés préventivement, en anticipation de la chute prévisible de la capitale afghane.

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Une résolution à l'ONU

"Nous avons encore sur nos listes plusieurs milliers d'Afghans et d'Afghanes que nous souhaitons protéger, qui sont à risque en raison de leurs engagements – des magistrats, des artistes, des intellectuels –, mais aussi beaucoup d'autres personnes qui ont été signalées par des proches et dont on nous dit qu'elles sont à risque, détaille le chef de l'État. Et puis il y a de nombreuses femmes qui ont été éduquées ces vingt dernières années, en particulier dans les villes, et qu'on doit aider à échapper à la répression." Comment, avec quels moyens puisque l'ambassadeur de France, David Martinon, et son commando de diplomates ont fini par quitter l'Afghanistan vendredi soir pour Abu Dhabi ? à Bagdad samedi le président a annoncé que des "discussions" avaient été entamées avec les talibans à Doha et avec le Qatar afin d'"aménager des opérations de pont aérien".

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A l'Elysée, vendredi, le chef de l'État nous avait tracé les grandes lignes de son plan. "Ce que nous cherchons à faire, c'est de pouvoir organiser des opérations humanitaires ciblées, pour des évacuations qui ne se feront pas par l'aéroport militaire de Kaboul. Il s'agit de protéger ces Afghans menacés et de leur faire quitter le pays dans les prochains jours, ou les prochaines semaines. On verra si cela peut se faire par l'aéroport civil de la capitale ou par les pays voisins. C'est d'ailleurs l'une des conditions préalables que nous posons à toute relation avec les talibans, c'est-à-dire la capacité qu'auront les alliés à parachever leurs opérations humanitaires. L'asile que la France offre est constitutionnel, il protège les combattants de la liberté et celles et ceux qui sont menacés, c'est notre devoir."

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Notre projet de résolution vise à définir une safe zone à Kaboul qui permette de continuer les opérations humanitaires

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Pour concrétiser cette démarche, le président français veut créer avec ses partenaires une zone protégée dans la capitale afghane que les Afghans sur le départ pourraient rejoindre avant de quitter le pays. C'est tout l'objet de la résolution que la France voudrait proposer lundi avec les Britanniques au cours de la session d'urgence du Conseil de sécurité des Nations unies convoquée par le secrétaire général Antonio Guteres.

"Notre projet de résolution vise à définir, sous contrôle onusien, une safe zone à Kaboul qui permette de continuer les opérations humanitaires. C'est très important. Cela donnerait un cadre des Nations unies pour agir dans l'urgence, et cela permettra surtout de mettre chacun devant ses responsabilités et à la communauté internationale de maintenir une pression sur les talibans." Emmanuel Macron est impatient de voir si Pékin et Moscou prendront le risque d'y opposer leur veto, au risque de passer dès lors pour des complices objectifs des exactions talibanes déjà recensées par les organisations de défense des droits humains.

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Sa réplique aux Américains

On aborde la suite, c'est-à-dire le sort de toutes celles et ceux qui voudront fuir l'oppression ou l'insécurité, autrement dit : un nouveau mouvement de population. Macron sait bien que c'est sur ce volet que ses opposants l'ont cueilli à froid, lui reprochant vertement dès le 16 août d'avoir affirmé vouloir "protéger" la France "contre des flux migratoires irréguliers importants". Il avait rétorqué qu'il avait été mal compris, comme si ses détracteurs n'avaient rien entendu d'autre sur l'impérieuse nécessité d'offrir l'asile aux victimes de l'oppression talibane.

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Quand les Américains disent qu'ils ont exfiltré tant de milliers de personnes, ce ne sont pas des Afghans qu'ils accueillent directement sur le sol américain

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"Il y aura des flux importants, parce que des filières vont se mettre en place pour des gens qui ne sont pas forcément en danger immédiat et qui voudront partir, insiste à nouveau le chef de l'État. Selon le HCR, il y a déjà 850.000 réfugiés afghans en Iran et 1,5 million au Pakistan. Et le président tadjik, avec qui je me suis entretenu il y a deux jours, m'a dit qu'il y avait une forte pression à sa frontière. Il faut évoquer cette question migratoire avec beaucoup d'humanité, de transparence et le sens des responsabilités pour ne tomber dans aucun discours démagogique."

Humanité? À commencer par celle que l'on doit aux Afghans déjà présents sur le sol européen et qui étaient menacés il y a encore quelques semaines d'être renvoyés chez eux? "Ceux à qui nous avons refusé l'asile ne pourront plus être reconduits chez eux dans le contexte actuel. C'est vrai aussi pour beaucoup d'autres pays européens. Notre taux de protection en France est le plus important, 89% pour l'asile et la protection subsidiaire. Mais il faut donc à nouveau se coordonner entre Européens pour éviter les dysfonctionnements sinon nous verrons des Afghans, certains étant déjà là depuis des mois ou des années, tourner dans toute l'Europe en quête du pays qui leur offrira le meilleur accueil. Il faut traiter ce sujet sans hypocrisie."

A l'Elysée, comme au centre de crise du Quai d'Orsay, on n'a pas beaucoup aimé la guerre des chiffres à propos des évacuations, les Américains se vantant haut et fort d'avoir exfiltré plus de 100.000 personnes en moins de quinze jours. C'est un sujet "sur lequel il faut lever le voile, sans pudeur", avance Macron : "Quand les Américains disent qu'ils ont exfiltré tant de milliers de personnes, ce ne sont pas des Afghans qu'ils accueillent directement sur le sol américain. On en a vu arriver en Europe." Le Président fait allusion à ces premiers vols américains qui se sont posés récemment en Albanie ou en Ouganda, d'autres étant prévus au Kosovo ou en Macédoine du Nord. Certaines sources locales laissent entendre que cette période transitoire pourrait durer près d'un an.

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La France n'abandonne pas ceux qui se sont battus à ses côtés

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"Soyons honnêtes, tous ces Afghans n'iront pas nécessairement aux États-Unis et certains chercheront à rejoindre l'Union européenne. Là-dessus, il faut un discours de clarté avec nos amis américains et avec tous les pays intermédiaires pour organiser la prise en charge la plus humaine possible de ces réfugiés et éviter les tensions politiques entre les États."

Dernier souci en tête pour l'Élysée, ces Afghans qui se pressent aux frontières du Pakistan et de l'Iran. Là aussi, Emmanuel Macron cherche, avec ses partenaires, à éviter une potentielle nouvelle crise migratoire. "Je veux qu'on puisse travailler avec le Haut Commissariat aux réfugiés des Nations unies, avec des contributions financières massivement à la hausse, pour lui permettre de protéger ces réfugiés dans de bonnes conditions. C'est notre devoir et c'est le seul moyen de prévenir des mouvements de population qui, sinon, seront inévitables." Et de lancer cette nouvelle pique : "Il faut donc multilatéraliser ce sujet, et les États-Unis devront jouer leur rôle. Car même s'ils ne sont pas les premiers à subir la pression migratoire, ils ne sont pas sans lien avec la décision qui l'a déclenchée."

A-t-il conscience qu'il risque de crisper davantage le débat migratoire, qui va s'incruster dans la campagne présidentielle? Oui. "J'entends une certaine forme de discours clientéliste qui agite les peurs. Moi, je suis inquiet de la situation. Mon rôle n'est pas d'agiter les peurs chez nos compatriotes, c'est d'apporter des solutions pour les résoudre. Or la solution sera forcément européenne et multilatérale. Si nous savons gérer cette pression migratoire avec humanité, fermeté, avec une capacité à protéger nos frontières comme il le faut, avec une solidarité entre Européens et une politique adaptée avec les pays de la région, on aura là un ensemble qui permet de structurer une réponse."

La lutte contre le terrorisme

Le hasard du calendrier diplomatique fait qu'Emmanuel Macron est dimanche en Irak. Samedi, il a coprésidé à Bagdad une conférence internationale avec les pays voisins en vue de contribuer à la stabilité économique, sécuritaire et politique du pays. Selon les accords passés entre le gouvernement irakien et les États-Unis, il est prévu que les forces américaines encore présentes quittent l'Irak d'ici au 31 décembre. Autre désastre à venir? Non, car selon lui, la présence occidentale en Irak est de nature différente.

"Les problèmes n'y viennent pas d'une forme d'islamisme radical violent conjugué à l'existence de groupes terroristes comme on l'a vu en Afghanistan. Ils viennent notamment de l'influence des voisins dans un contexte où l'on doit finir de lutter contre le terrorisme. Je me suis battu toutes ces dernières années pour éviter un désengagement trop brutal des Américains ou d'autres alliés dans la région. Il faut aider l'Irak à bâtir une stabilité dans la région vis-à-vis de tous ses voisins. Car aujourd'hui, l'Irak est fragilisé non seulement par la résilience de Daech, mais aussi par des milices chiites qui menacent sa sécurité et exercent une influence néfaste en la soumettant à des influences géopolitiques très fortes. L'Irak est également confronté à des opérations que mène la Turquie dans le nord pour lutter contre le PKK." Samedi, ce sujet a d'ailleurs été abordé lors de cette conférence internationale sur la stabilité de l'Irak.

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Le Sahel n'est pas l'Afghanistan

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Ce dimanche, Emmanuel Macron doit aller à Mossoul et à Erbil, la capitale de la province autonome kurde (lire ci-contre). Il veut rendre hommage à ceux qui ont combattu avec la France contre Daech. Là encore, il tient à se distinguer de l'attitude américaine : "Le risque désormais, comme on l'a vu en Afghanistan, c'est qu'on ait l'impression que les Occidentaux ont des alliés de circonstance qu'ils abandonnent lorsque leur agenda change. Ce n'est pas notre cas. La France n'abandonne pas ceux qui se sont battus à ses côtés. Nous continuons par exemple de soutenir l'opposition syrienne – j'ai d'ailleurs reçu certaines de ses composantes au début de l'été – et les combattants de la liberté, en particulier les peshmergas kurdes, qui se battent avec nous contre Daech, et c'est pourquoi j'ai tenu à leur rendre hommage ce dimanche à Erbil."

Ce que fait la France au Sahel

En admettant que l'Irak n'est pas dans la même posture que l'Afghanistan, la comparaison vaut-elle pour le Sahel, à l'heure où plusieurs pays européens doutent de l'efficacité du combat commun contre le terrorisme sur place? "La France ne se désengage pas, comme je l'entends dire à tort, répond le chef de l'État. Mais la France va au bout de sa logique, se concentre principalement sur le combat antiterroriste en soutien aux États. Dans la durée, cette mission ne peut continuer qu'avec la solidité des États et des administrations des pays du G5 Sahel. Ce n'est pas à nous de le faire. Je ne crois pas au 'state building' : ce n'est pas aux Occidentaux d'aller construire un État au Mali, c'est aux Maliens de le faire dans les zones que l'on libère de l'emprise terroriste. Je le dis pour éviter toute ambiguïté, pour éviter qu'une forme de confort s'installe, qui ferait que notre présence militaire aide à justifier les carences d'un retour de l'État. Nous avons donc tiré au Mali les conséquences avant l'heure de ce qu'on a vu en Afghanistan."

Lire sur le sujet - Sahel : pourquoi la disparition de l'opération Barkhane ne signe pas la fin de la présence française au Mali

Une Europe plus forte

Emmanuel Macron n'en démord pas. Sans projet stratégique, maintenant que les États-Unis en ont fini avec leurs guerres "interminables", l'Europe est condamnée à prendre en main sa propre sécurité. "Je suis frappé de voir que dans certains esprits, on a vingt ans de retard, comme s'ils n'avaient pas pris en compte la chute du Mur de Berlin et le retour des puissances. Les États-Unis ont un agenda stratégique prioritairement tourné vers l'Asie-Pacifique et souhaitent que les Européens contribuent davantage à leur propre sécurité. C'est clair, légitime et je le respecte. Ils sont désormais dotés d'une politique étrangère 'pour les classes moyennes', et cette classe moyenne américaine ne comprend pas pourquoi on envoie pendant des années des soldats mourir au bout du monde. Nous, Européens, devons donc prendre davantage notre part face aux déstabilisations de notre voisinage. L'Europe de la défense, l'autonomie stratégique, c'est maintenant. Comment peut-on dire qu'on va lutter contre le terrorisme si on le laisse prospérer à nos portes en Afrique et au Moyen-Orient?"

Le vide américain avec des Européens plus forts pour éviter que d'autres puissances ne s'engouffrent dans la brèche. Ce débat-là, Emmanuel Macron l'avait initié il y a quatre ans, presque jour pour jour, dans son discours sur l'avenir de l'Europe à la Sorbonne. La question resurgit, mais sans doute avec plus de brutalité.

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