HERZOG Philippe, Albert, Robert

Par Thierry Pouch, complété par Bernard Thiéry

Né le 6 mars 1940 à Bruay-en-Artois (Pas-de-Calais) ; économiste, administrateur à l’INSEE (1964-1968), professeur des universités (1969-2004) ; membre du PCF (1965-1996), du Comité central (CC) de 1972 à 1996, membre du Bureau politique (BP) de 1979 à 1996, dirigeant de la section économique du CC, directeur de la revue Économie et politique (1979-1984) ; député européen (1989-2004), conseiller spécial auprès du Commissaire européen au Marché intérieur et des Services (2009-2014) ; membre du Conseil économique et social (1984-1989), du Conseil d’Analyse économique (1997-2008), Président de l’Institut pour l’éducation financière du public (2006) ; président-fondateur de l’association Confrontations Europe (1992-2009).

Claude et Philippe Herzog en 2021.
Cliché Bernard Thiéry

Son père Eugène Herzog, immigré croate, né de parents juifs admirateurs des Lumières, soutint sa thèse de doctorat à Lille (Nord) en 1932, fut ingénieur puis directeur de recherche aux aciéries de Pompey et de Pont-à-Mousson (arr. de Nancy, Meurthe-et-Moselle) ; inventeur d’aciers spéciaux, il reçut le grand prix national de la recherche scientifique en 1957. Sa mère, dont le père était technicien à la mine de Bruay-en-Artois (Pas-de-Calais), était employée de banque à Lille avant son mariage. Philippe Herzog a vécu dans un milieu familial où la mère a dirigé la maison et le père était mobilisé sur l’usine ; il fréquenta des familles ouvrières amies de sa mère et garda des liens avec elles. Il a beaucoup regretté le manque de transmission paternelle de la très riche culture d’Europe centrale. On ne parlait pas politique en famille ; les parents ont transmis à leurs trois fils la rigueur morale et l’esprit scientifique. Bernard, l’ainé, fut médecin, universitaire, peintre, et psychanalyste. Le cadet, Richard, fut chercheur-informaticien, un des cadres du projet ITER de fusion nucléaire. Mavro Herzog, le grand-père paternel, avocat des paysans pauvres, co-fondateur du Parti libéral pluraliste de coalition serbo-croate, traducteur de Tolstoï, fut déporté et mourut à Auschwitz en 1943, comme sa femme Francesca et plusieurs membres de sa famille.
Philippe Herzog vécut sa jeunesse en Lorraine. Il a connu la guerre, les sirènes et la descente aux abris, l’irruption terrorisante des nazis au domicile familial, la destruction du pont à Pompey (arr. de Nancy, Meurthe-et-Moselle). Sa condition fragile s’est fortifiée dans les colonies de vacances, la pratique de la marche et du football. Il a suivi le catéchisme jusqu’à la communion mais est resté incroyant. Pour autant, il a ressenti en lui la judéité, étudié et valorisé l’apport spirituel du christianisme. L’école fut très tôt son refuge et son lieu de socialisation. Il s’est évadé dans la lecture, dévorant la Bibliothèque Verte, le monde de Jack London, de l’Amazonie, puis la littérature française et britannique dans cette langue ; nourri d’Homère à onze ans, des poètes romantiques, de Dostoïevski et de Proust au lycée.
Elève au Lycée Henri Poincaré à Nancy (1951-1957), où la famille a déménagé, premier de la classe et bien intégré, ses proches camarades ont été deux juifs communistes. Intrigué mais sans parti pris, quand meurt Staline en 1953, il a pressenti que l’équilibre du monde allait changer. Il est parti à Paris en 1957 pour intégrer les classes de mathématiques supérieures et spéciales au lycée Saint-Louis. Reçu à l’Ecole Polytechnique en 1959, il y a créé un « groupe de gauche », écrit une pièce de théâtre, et créé un ciné-club avec son ami Hervé Gourio. « Addict » au cinéma comme il le fut à la littérature, il s’est formé à la Cinémathèque et au Studio Parnasse, adorant les cinémas italien, japonais, russe, américain. Au service militaire (1961-1962) il a été sous-lieutenant à Oran (Algérie) peu avant les Accords d’Evian. Il a gardé des contacts nombreux avec les Polytechniciens.
En 1962, il intégra l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (ENSAE), comme de nombreux économistes français. Parmi ses professeurs furent Maurice Allais, Raymond Barre, Edmond Malinvaud et Claude Gruson, son mentor et ami. Administrateur de l’INSEE en 1964, il rejoignit le département de la Comptabilité nationale dirigé par André Vanoli – qui fut en charge de la création du Système européen de comptabilité nationale –. Puis il fut détaché à la cellule des Budgets économiques (prévisions accompagnant la préparation des politiques macroéconomiques) pour intégrer la petite équipe dirigée par Michel Rocard au Service des Études économiques et financières du ministère des Finances qui travaillait en lien étroit avec le Commissariat général au Plan. Il s’est formé à la théorie économique en étudiant les œuvres de Keynes, Marx et Schumpeter. Comprendre l’économie par la comptabilité nationale et la statistique fut pour lui une révélation et le socle d’une culture systémique. Alors qu’il avait vingt-cinq ans, il élabora avec Gaston Olive, normalien, le premier modèle français de prévision macroéconomique à court terme, le modèle ZOGOL, dont la méthodologie et les résultats furent publiés dans Etudes de comptabilité nationale au SEEF et qui fut longtemps enseigné à l’Université.
En 1966, il a été rédacteur en chef des Comptes de la nation. Dans le milieu de la planification à la française, l’innovation en matière de statistiques et de programmation s’est poursuivie par les travaux de rationalisation des choix budgétaires et des politiques publiques. Sa thèse de doctorat, sous la direction de Raymond Barre, fut l’objet d’un prix, et publiée en 1968 dans son premier ouvrage intitulé Prévisions économiques et comptabilité nationale. Il y a procédé à une analyse d’ensemble des liens entre ces deux disciplines.
En juin 1968 dans une note interne à l’INSEE, il présenta des critiques sur les fondements théoriques des politiques en vigueur qui pour lui anticipaient mal les mutations du long terme et il s’orienta ensuite vers les marxistes. Le passage de « l’économie politique » à la « science économique » a marqué selon Philippe Herzog, une coupure avec la tradition des Lumières pour laquelle l’économie politique ne devait pas être séparée de la philosophie politique. Cette coupure a privé la discipline « d’une profondeur de champ anthropologique et historique ». Pour lui le monde souffrait d’économicisme, « la dégradation de l’humanisme allant de pair avec celle d’une l’économie politique qui fut réduite à une boite à outils pour gestionnaires et fabricants de programmes. »
Après des études à Panthéon-Sorbonne, il prépara et réussi le concours d’agrégation des Facultés de sciences économiques en 1968. Il avait alors quitté l’INSEE et commencé sa carrière universitaire. Il fut professeur agrégé de sciences économiques de 1969 à 1973 aux Universités de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), Vincennes (Paris) et Amiens (Somme) ; puis de 1973 jusqu’en 2003 à l’Université de Paris X-Nanterre. Il publia de très nombreux articles et plusieurs livres consacrés à la politique économique et à la planification, en lien avec l’expérience de l’Union populaire pour un Programme commun et dans le contexte de l’Union de la gauche, en particulier L’économie à bras-le-corps en 1982, réédité en 1984. Ces travaux témoignaient d’une volonté d’éducation populaire à l’économie. Dans les années 1990, il exerça à temps partiel son activité de professeur en raison de la surcharge de ses activités politiques, associatives, et de parlementaire européen. Il publia en 2002 un livre qui reprit son cours de Nanterre sur la construction de l’Europe, L’Europe après l’Europe. Les voies d’une métamorphose. Philippe Herzog aima beaucoup ce rôle de professeur pour la proximité qu’il offrait de soutenir des jeunes en quête de connaissance et d’identification. Parmi ses élèves, il y eut Pierre Moscovici et Laurence Boone.
En mai 68, il ne partagea pas l’enthousiasme de la jeunesse et des intellectuels dont les aspirations révolutionnaires lui paraissaient plus déconstructives que constructives, mais sans pour autant relayer les critiques parfois virulentes de la direction du parti à l’égard du mouvement étudiant. Il entra au PCF « pour être du côté du peuple » disait-il, et parce qu’il lui offrait « un espace de sécurité, d’innovation et de camaraderie dans un moment où ce parti cherchait à se renouveler et à sortir du stalinisme ». Déterminante pour son adhésion fut pour lui la perspective de participer à « une régénération de la pensée marxiste » à la Section économique du Parti dirigée par Henri Jourdain et sous l’impulsion du théoricien Paul Boccara. S’agissant de l’Union de la gauche, il ne partagea jamais la croyance à une révolution en marche mais il militait « pour une grande transformation pacifique du capitalisme et de la démocratie » afin de rompre avec les inégalités, les antagonismes de classe et le dualisme de la société. Pour lui l’Etat ne pouvait en être le moteur, mais plutôt les travailleurs et les sociétés civiles organisées, qui devaient se former pour participer aux choix de gestion et de politiques publiques.
Ce fut le début d’un long parcours politique puisqu’il fut élu en 1972 au CC puis au BP en 1979. Il dirigea alors lui-même la section économique du PCF et la revue [Economie et Politique]. D’une certaine façon cette section fut un État dans l’État, développant ses travaux de façon autonome et parfois en désaccord avec la direction du parti. C’est au sein d’elle que prit forme la théorie du « Capitalisme monopoliste d’État (CME)”. Elle émergea dans le sillage de la Conférence internationale rassemblant une vingtaine de pays qui se tint en 1966 à Choisy-le-Roi (Val-de-Marne) à l’invitation du PCF et de la revue Économie et Politique. Paul Boccara inaugura cette Conférence par un exposé qui resta comme l’un des principaux éléments fondateurs de la théorie du CME. Philippe Herzog avait rédigé en 1970 deux chapitres du Traité d’économie marxiste, Le Capitalisme Monopoliste d’État, aux côtés notamment de Paul Boccara, Jean-Claude Delaunay, Maurice Decaillot, Henri Jourdain, Jean Fabre et Claude Quin. Le succès de ce Traité fut immense, puisque plus de cinquante-mille exemplaires ont été vendus et il fut traduit et commenté dans de très nombreux pays. Cette théorie exposait la complémentarité du rôle de l’État et des grandes entreprises nationales avant que ne surgisse la multiplication des entreprises multinationales et la globalisation financière. Philippe Herzog estimait que ce problème du couple public-privé était à repenser à l’échelle d’un monde où une oligarchie privée s’était installée en lien étroit avec une géopolitique des Etats-puissances. Paul Boccara articula la théorie du CME à l’analyse du mode de productivité et de la révolution informationnelle dans une théorie marxiste de la régulation systémique dont Philippe Herzog s’était inspiré dans ses travaux sur le capitalisme européen. Cette école contrastait avec celle de la régulation constituée aux débuts des années soixante-dix autour d’économistes comme Michel Aglietta, Robert Boyer et Alain Lipietz. La théorie du CME s’inscrivait dans le contexte politique de l’élaboration du Programme commun de la gauche signé en juillet 1972, lequel portait la marque des travaux et études réalisés par les économistes du PCF et par Philippe Herzog en particulier, qui le chiffra. Une planification décentralisée et concertée devait, selon lui, veiller à la cohérence entre la production et les besoins sociaux et s’appuyer sur la mise en œuvre de nouveaux critères d’efficacité des gestions et des investissements, en particulier dans le secteur public.
Philippe Herzog fut candidat du PCF aux élections législatives du printemps 1978 dans le XIIIe arrondissement de Paris. Au cours de sa vie militante et particulièrement dans les années 1980, il multiplia les meetings et interventions, notamment dans les usines visées par les restructurations, auprès des travailleurs menacés de licenciement et auprès des organismes et collectivités concernés, pour défendre des alternatives et des réformes structurelles. De 1981 à 1988, il participa à la Commission nationale de planification créée par Michel Rocard, ministre du Plan de François Mitterrand->146250] où il connut Michel Barnier et Jérôme Monod.
Très soucieux du développement de la production nationale pour rester cohérent avec l’ampleur des programmes sociaux, il critiqua la politique économique des gouvernements socialistes qui, pour lui, était responsable de la désindustrialisation et d’une ouverture non maitrisée aux marchés financiers internationaux mais qui n’avait a pas adopté de solutions protectionnistes en matière de commerce international. Philippe Herzog invita Charles Fiterman, ministre des transports entre 1981 et 1984, à ne pas enjoliver la politique économique du gouvernement Mauroy en minorant la crise et la montée du chômage. Il ne suivit pas pour autant la direction du parti lorsqu’elle qualifia plus tard Charles Fiterman et ses amis « réformateurs » de « liquidateurs ». Philippe Herzog ne s’opposa pas à la sortie du gouvernement lorsque Laurent Fabius fut nommé premier ministre, mais il regretta que le PCF ne soit pas plus constructif dans l’opposition. Plus tard, il considéra qu’Anicet Le Pors avait eu le courage de s’opposer à la sortie du gouvernement. Contrairement à Laurent Fabius il ne préconisa pas la sortie du système européen en 1983, étant soucieux de poursuivre une coopération monétaire.
À partir de la fin de la décennie quatre-vingts, il développa des travaux consacrés à l’Europe et publia Europe 92 : construire autrement et autre chose. Désigné tête de liste du PCF pour les élections au parlement européen (PE) de 1989, il développa des positions plus pro-européennes que celles du parti et de sa direction, qui mena, selon lui, sa propre campagne contre la sienne. Auparavant Jean-Claude Gayssot, très proche de Georges Marchais (74007), avait publié un tract prétendant que 15% était la représentativité réelle du PCF, bien que celui-ci avait fait 6,8 % à l’élection présidentielle de 1988. La liste conduite par Philippe Herzog fit 7,8 %. Son refus de dire non à « l’Europe du capital » lui fut imputé. Percevant les dangers d’une Union monétaire sans que des solidarités réelles ne soient créées, il prôna, mais en vain, une renégociation du Traité de Maastricht, position brièvement partagée par Jean-Pierre Chevènement]Il connaissait Claude Fischer depuis les luttes pour la sidérurgie et qui fut présente sur la liste aux élections européennes de 1989 ; elle devint alors sa compagne et il partagea avec elle le projet de Confrontations et sa construction. Conçue comme « un mouvement pour faire de la politique autrement et construire l’Europe autrement », une innovation dans la méthode. L’association a réuni délibérément des personnes différentes par leurs convictions et leurs professions, qui ne partageaient pas une même idéologie politique mais voulaient œuvrer à « une conflictualité ouverte, viable et créative » par le dialogue, la concertation et une recherche permanente au sein des nombreux groupes de travail. Au départ fruit de la rencontre entre des communistes critiques et les rocardiens, Confrontations a été cofondée en mars 1992 par Philippe Herzog, Michel Rocard, Jean Peyrelevade, Jean-Pierre Brard et Jean-Christophe Le Duigou, et Claude Fischer en a pris le secrétariat général. L’association s’est élargie à des personnalités politiques de différents bords à gauche comme à droite, ainsi Michel Barnier et Alain Lamassoure, et à de très nombreux membres de la société civile, notamment des dirigeants d’entreprises comme Francis Mer, Jean Gandois, Jean-Claude Bailly, Henri de Castries. Elle fut qualifiée de « commissariat général au plan de la société civile ». À la veille du vote sur le Traité de Maastricht, Confrontations réunit, dans un manifeste, des partisans du OUI et du NON autour de l’engagement à construire l’Europe autrement. En 2000, elle devint Confrontations Europe avec l’ambition de « former société en Europe ». Philippe Herzog accompagna ces travaux par des livres sur des enjeux de transformation de la vie politique et de la démocratie : en 1994, La société au pouvoir ; en 1997, Reconstruire un pouvoir politique ; en 2000, Manifeste pour une démocratie européenne.
Député européen sur la liste du PCF entre 1989 et 1999, Philippe Herzog fut ensuite candidat en 1999 au titre de la société civile sur la liste « Bouge l’Europe ! » conduite par Robert Hue, et il l’a remplacé au Parlement européen en 2000. Au cours de ces mandats il occupa les postes de président de la Commission de relations extérieures, vice-président de la Commission économique et monétaire et vice-président de la délégation Europe/États-Unis.
Proche de Jacques Delors, dont il a apprécié la présidence de la Commission, il fut un fédéraliste mais il n’a pas retenu l’approche constitutionnaliste. Comme Jean Monnet, il a visé à « unir des peuples, non coaliser des Etats » et privilégié des « solidarités concrètes ». Jugeant prématuré le Traité constitutionnel de 2004, il avait quand même accepté de le voter, ce qu’il a regretté plus tard. Il a prôné la mise en place d’une large participation des citoyens et des sociétés civiles aux actes de l’Union européenne, et déploré que la méthode communautaire soit de plus en plus de type « techno-juridique » en lien avec une coordination intergouvernementale très éloignée des gens. Confrontations Europe proposa une refondation de l’Union européenne pour en faire une véritable communauté politique, mais ce projet, selon lui, a été complètement perdu de vue.
Philippe Herzog a réussi à faire adopter par le Parlement européen un rapport sur « La participation des citoyens et des acteurs sociaux au système institutionnel » qui fut adopté par une large majorité grâce à l’appui du démocrate-chrétien espagnol Gil Robles. Il proposait notamment la mise en place d’une « Conférence annuelle dédiée à la politique économique de l’Union », délibérée dans chaque État-membre. Mais après le vote les dirigeants des groupes du Parlement européen n’ont pas voulu mettre en œuvre leur engagement.
Pierre Moscovici, ministre des Affaires européennes, lui confia en 1998 une mission parlementaire qui réunit cinquante personnalités ; elle travailla pendant six mois et Philippe Herzog rédigea son rapport final. Intitulé « Avec l’euro, construire les relations sociales européennes ? » Il proposait douze mesures avec notamment l’objectif que dans chaque localité, chaque entreprise, les citoyens aient accès à l’information et à la participation aux projets de l’UE ; l’intégration des choix politiques européens dans le dialogue social et économique français, et la mise en place d’un dialogue social dans la gouvernance politique de l’Union économique et monétaire. Pierre Moscovici trouva le rapport intéressant mais le gouvernement n’a pas voulu y donner suite.
Un autre rapport important fut adopté par le Parlement européen en mars 2004 portant sur les « services d’intérêt général » (SIG). Il comportait des dérogations aux règles de la concurrence pour protéger les services publics nationaux. Philippe Herzog voulut y inclure l’engagement à créer des biens publics européens, infrastructures de biens et services qui seraient directement accessibles aux Européens, ce que ses collègues ont refusé. Avec Confrontations Europe la défense des services publics, face aux pressions de la Commission pour les désintégrer, n’avait pas cessé. Philippe Herzog reprit l’initiative en proposant en 2007 un « Nouvel acte unique » afin de modifier le modèle du grand marché, unilatéralement fondé sur la concurrence et la compétitivité, pour faire place à la mutualisation de SIG européens dans les secteurs des transports, de l’énergie, et aussi de santé, formation, mobilités du travail. Philippe Herzog et Confrontations Europe lancèrent aussi en 2009 l’objectif d’investissements de long terme d’intérêt européen avec le concours de Philippe Maystadt, président de la Banque Européenne d’Investissement (BEI) et de l’économiste Michel Aglietta. Confrontations Europe a alors réuni un « groupe crise », qui a accompagné les travaux de Philippe Herzog devenu conseiller spécial du commissaire Michel Barnier entre 2009 et 2014, en lien étroit avec le directeur général Olivier Guersent ; il a contribué à faire avancer les projets d’Union bancaire, et préconisé une industrie européenne des fonds d’investissements dédiée au financement du long terme. Les résultats ont été partiels mais très insuffisants en raison des freins mis par les Etats souverains. Philippe Herzog rédigea également rédigé une étude Pour une stratégie européenne industrielle fondée sur la coopération.
Confrontations Europe a mis en place un bureau à Bruxelles et organisé de multiples séminaires et conférences internationales. Elle s’est très impliquée dans l’élargissement de l’Union européenne qu’elle souhaitait être un moment historique de réconciliation entre tous les peuples européens et l’association s’est également mobilisée pour intégrer tous les pays des Balkans. En 2002, Claude Fischer a créé la société ASCPE qui organise Les Entretiens Européens et Eurafricains, où Philippe Herzog l’a accompagnée. Partisans d’une Europe ouverte sur le monde et d’une mondialisation refondée dans des logiques de coopération et de solidarité, ils ont refusé d’enfermer l’Union européenne dans les rivalités des puissances antagoniques, États-Unis et Chine. Condamnant l’agression de Poutine en Ukraine en février 2022, mais refusant d’ostraciser la Russie et opposés au surarmement, ils ont plaidé pour préparer une paix durable avec la Russie et une Europe non alignée. Philippe Herzog s’est beaucoup impliqué aussi dans le débat autour du Brexit, publiant en 2015 un essai pour le King’s College de Londres à la demande de « Remainers », L’identité de l’Europe, vers une refondation.
Claude Fischer a succédé à Philippe Herzog à la présidence de Confrontations Europe (2009-2014), puis Marcel Grignard et Michel Derdevet ont pris la relève. Parmi les cadres qui ont accompagné les fondateurs figurent Bernard Marx, André Ferron, Nathalie Lhayani, Ursula Serafin, Catherine Véglio, Thierry Soret, Anne Macey, Carole Ulmer, Marie-France Baud, Marie-France Boudet, et Juliette Munsch, assistante de Philippe Herzog.
Philippe Herzog n’a jamais perdu de vue les risques de désintégration de l’Union européenne. Pour lui le clivage entre les OUI et les NON en France n’a jamais été dépassé et l’écart s’est accentué entre les gens « d’en bas » et les institutions communautaires « d’en haut ». L’opposition entre la méthode gouvernementale et la méthode communautaire lui a semblé stérile, et à dépasser en inventant une démocratie de participation transfrontière. Aussi a-t-il appelé en 2022 à un nouveau discours de la méthode pour revitaliser le projet historique de fédération des Européens, dans l’esprit de Jean Monnet. Ce qui n’est pas le cas de la notion de « souveraineté européenne » avancée par le président français, qui ne repose pas sur une adhésion populaire ni sur des solidarités concrètes.
Élu européen, homme politique, Philippe Herzog a poursuivi ses activités d’économiste en France. Membre du Conseil d’Analyse Économique (CAE) auprès du Premier ministre (1997-2008), il y a prolongé ses travaux sur l’Europe mais ses propositions sur la participation ont été considérées comme inopportunes par Lionel Jospin. Il fut membre du Comité national de l’euro de 1998 à 2002. En 2005, il participa à la Commission présidée par Michel Pébereau pour analyser la dérive des dettes publiques ; le rapport final portait des propositions qui, regretta Philippe Herzog, ont été laissées en déshérence par les gouvernements successifs. En 2006 il fut le premier président de l’Institut pour l’Éducation Financière du Public (IEFP). En 2013, dans Europe réveille-toi ! « un cri d’alarme, une dénonciation et un appel » selon Michel Rocard, il a posé un diagnostic sans concession sur la crise de l’UE et proposé « un programme de reconstruction de l’Union européenne ». Il a suggéré la mise en place d’un collège politique restreint, distinct de l’administration de la Commission, qui serait responsable de la politique des grands domaines des biens communs, ainsi que la création d’une planification décentralisée et concertée adossée à un véritable budget européen axé sur les investissements humains, écologiques et productifs.
Philippe Herzog ne resta pas assigné au domaine de l’économie politique qui fit sa réputation. En amateur, disait-il, « la philosophie politique m’est devenue indispensable ». Il a créé un groupe « civilisation » à Confrontations Europe en 2004 et l’association a réuni des colloques à Bruxelles et Paris sur « l’éthique de participation » et « ce que peut le cinéma pour l’Europe » (où il a dialogué sur cette question avec le cinéaste portugais Manoel de Oliveira).
Les appels récurrents de Philippe Herzog à refonder l’Europe sur la base d’un projet culturel et dans une perspective de civilisation mondiale ont souvent été accueillis avec circonspection, suscitant l’intérêt et aussi le scepticisme : « frère Philippe », l’interpella publiquement Bernard Kouchner, son ami et ancien collègue au PE, et Michel Rocard lui souhaita « bonne chance sur ce chemin improbable ». De son côté Edgar Morin a été l’ami de Confrontations dès ses débuts, mais il a perdu confiance en un projet politique européen dévitalisé.
À partir de 2015, Philippe Herzog s’est consacré au combat sur les défis culturels, publiant plusieurs essais : Identité et valeurs : quel combat ? ; Les trois luttes de l’homme européen ; La trajectoire des religions dans notre histoire. En 2018 furent publiées ses Mémoires sous le titre D’une révolution à l’autre. Dans son dernier livre Les failles de la raison. Pour un nouveau discours de la méthode publié en septembre 2022, il a rédigé une enquête à caractère philosophique et politique visant à offrir une nouvelle lecture du temps présent. Citant notamment Saint-Augustin, Descartes, Heidegger, il a appelé à régénérer la pensée et l’engagement dans le contexte d’une crise et d’une mutation de la civilisation européenne alors que l’enjeu d’une conscience commune se pose désormais à l’échelle de l’humanité.
Il fut nommé Chevalier de l’Ordre des Palmes académiques (1974) puis de l’Ordre national du Mérite (1998) et de la Légion d’Honneur (2005).
Il fut président fondateur de « Confrontations Europe », membre du comité de pilotage d’ASCPE – Les Entretiens Européens ; membre du comité d’honneur de l’Institut Jean Monnet et administrateur de la Fondation Jean Monnet International (à Lausanne).
La première épouse de Philippe Herzog, Helen était anglaise. Ils eurent trois enfants : Martine, Stéphane et Nadia. En 1994, il se remaria avec Claude Leclercq-Fischer qui avait elle aussi trois enfants : Yvan, Gilles et Hervé. Claude Fischer-Herzog et lui partagent seize petits-enfants d’origines mêlées européennes et africaines, et une arrière-petite-fille franco-colombienne.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article76026, notice HERZOG Philippe, Albert, Robert par Thierry Pouch, complété par Bernard Thiéry, version mise en ligne le 24 janvier 2010, dernière modification le 1er septembre 2022.

Par Thierry Pouch, complété par Bernard Thiéry

Phillipe Herzog
Phillipe Herzog
En 2017
Claude et Philippe Herzog en 2021.
Cliché Bernard Thiéry

OEUVRES : Prévisions économiques et comptabilité nationale, PUF, 1968 ; Politique économique et planification en régime capitaliste, Éditions Sociales, 1971 ; L’Union populaire et la maîtrise de l’économie, Éditions Sociales, 1972 ; L’économie à bras le corps, Messidor, 1982 ; 1984 ; La France peut se ressaisir, Messidor/Éditions Sociales, 1987 ; Europe 92. Construire autrement et autre chose, Messidor/ Éditions Sociales 1989 ; -Tu imagines la politique, Messidor, 1991 ; La Société au pouvoir, Julliard, 1994 ; Reconstruire un pouvoir politique, La découverte, 1997 ; Manifeste pour une démocratie européenne, L’Atelier, 1999 ; L’Europe après l’Europe, les voies d’une métamorphose, De Boeck Université, 2002 ; — Le Bonheur du voyage, Éthique, action, projets pour relancer l’Europe, Le Manuscrit, 2006 ; Une tâche infinie. Fragments d’un projet politique européen, Le Rocher/Desclée de Brouwer, 2010 ; Europe réveille-toi ! , Préfaces de Michel Rocard et de Michel Barnier, Le Manuscrit, collection l’Europe après l’Europe, 2013 ; Identité et valeurs : quel combat ? Imaginaire d’une renaissance culturelle, Le Manuscrit, 2015 ; Identité de l’Europe. Vers une refondation, essai pour King’s College, ASCPE, Les entretiens Européens et Eurafricains, 2016  ; D’une révolution à l’autre, Mémoires, Éditions du Rocher, 2018 ; Les failles de la raison. Pour un nouveau discours de la métho, Descartes §co, 2022. — Participations à des ouvrages collectifs et nombreux articles dans la presse dont l’Humanité, le Figaro-magazine (chroniques de 1999 à 2005), Le Monde.

SOURCES : Archives du PCF. — Thierry Pouch, Les économistes français et le marxisme. Apogée et déclin d’un discours critique (1950-2000),, Presses Universitaires de Rennes, coll. « Des Sociétés », 2001. — Entretien de Claude Pennetier et Bernard Thiéry avec Philippe Herzog et Claude Fischer-Herzog le 16 décembre 2021 à Paris. — Entretien avec Bernard Thiéry le 2 juillet et le 31 août 2022. - Avec la contribution de Philippe Herzog, Traité marxiste d’économie politique [1971], Le capitalisme monopoliste d’État, éditions sociales, deux tomes. — Julian Mischi, Le parti des communistes, histoire du parti communiste français de 1920 à nos jours, éd. HDA, collection Faits et Idées, octobre 2020. — Michel Dreyfus, Bruno Groppo, Claudio Ingerflom, Roland Lew, Claude Pennetier, Bernard Pudal, Serge Wolikow, dir., Le siècle des communistes, Éd.de L’Atelier, septembre 2000. — Bernard Pudal, Un monde défait. Les communistes français de 1956 à nos jours, Éd. du Croquant, 2009. — Roger Martelli, L’Occasion manquée. Été 1984, quand le PCF se referme, Éd. Arcane 2014. — Philippe Herzog, Europe, réveille-toi ! Le manuscrit, 2013. - Philippe Herzog, Identité et valeurs : quel combat ? — Philippe Herzog, D’une révolution à l’autre. Mémoires, Éditions du Rocher, 2018 . — Philippe Herzog, Les trois luttes de l’Homme européen. Plaidoyer pour une politique de civilisation, ASCPE, Les Entretiens Européens et Eurafricains, 2020. — Philippe Herzog, La trajectoire des religions dans notre histoire, ASCPE, Les Entretiens Européens et Eurafricains Entretiens, 2021 ; - entretiens avec Claude Fischer-Herzog, précisions communiquées par Philippe Herzog.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable