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Agriculture

Les apiculteurs privés d’un traitement bio et pas cher

Le ministère de l’Agriculture a rappelé que l’acide oxalique, utilisé contre un parasite des ruches, n’est pas autorisé comme médicament vétérinaire. Problème : les substituts sont onéreux et moins pratiques. Si une solution n’est pas rapidement trouvée, cette interdiction fragilise encore une filière déjà menacée.

En cet hiver, les abeilles hibernent. Mais pas les services du ministère de l’Agriculture ni les apiculteurs. Le 20 octobre dernier, lors d’une réunion, les premiers ont rappelé aux seconds que l’un des produits les plus utilisés en apiculture — en particulier bio — est, en fait, interdit.

Il s’agit de l’acide oxalique. Cette substance permet de lutter contre le varroa, un parasite qui affaiblit les ruches, jusqu’à provoquer parfois leur effondrement. « Elle présente très peu de danger pour les abeilles et les apiculteurs et elle est très efficace contre le varroa dans certaines situations », explique Marie-France Roux, de la Fédération française des apiculteurs professionnels (FFAP).

De l’acide oxalique déshydraté. La substance reste particulièrement toxique si elle entre en contact en l’état avec le corps humain.

Mais pour l’administration, ce produit a un très gros défaut : il n’a pas d’autorisation de mise sur le marché (AMM) en tant que médicament vétérinaire. Son utilisation est donc illégale, sous peine « de très lourdes sanctions (…), la mise à mort des animaux ayant reçu le produit et la destruction des produits de la ruche », ont rappelé la Direction générale de l’alimentation (DGAL) et l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV), lors de la réunion fin octobre avec les représentants des Associations pour le développement de l’apiculture (ADA).

C’est un coup dur pour le monde apicole, qui bénéficiait jusqu’ici d’une tolérance à ce sujet. « L’administration est dans son droit de nous rappeler que nous ne sommes pas dans le nôtre », reconnaît tristement un acteur de la filière préférant rester anonyme.

Un médicament dix fois plus cher

DGAL et ANMV ne laissent cependant pas les apiculteurs sans solution. Elles les incitent à utiliser un médicament dûment autorisé par une AMM depuis 2015, à base d’acide oxalique, appelé Api-Bioxal. Le produit est très proche de l’acide oxalique pur acheté en pharmacie.

Mais il présente deux sérieux inconvénients du point de vue des apiculteurs. Tout d’abord, « il est au moins dix fois plus cher ! » observe Jean-Marie Sirvins, de l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf). Une recherche menée auprès de plusieurs boutiques en ligne permet effectivement de constater qu’un traitement pour cent ruches à base d’Api-Bioxal coûte facilement plus de cent euros, quand il faut moins de dix euros d’acide oxalique pour traiter le même nombre de ruches.

Ruches en paille du Moyen Âge représentées dans le tacuinum sanitatis (un manuel médiéval sur la santé).

Par ailleurs, l’Api-Bioxal ne peut pas être utilisé dans toutes les situations. L’application prévue de ce médicament doit se faire par « égouttement », c’est-à-dire qu’il est dissous dans un sirop, que l’on fait en quelque sorte couler sur les cadres de la ruche. Mais en hiver, cela mouille et donc refroidit les abeilles. Les apiculteurs préfèrent donc la sublimation : en faisant passer le produit à l’état gazeux, on évite de refroidir la ruche. « Mais l’Api-Bioxal n’est pas indiqué en sublimation car il contient du sucre et donc caramélise, regrette Marie-France Roux. Donc, le produit est moins pratique et beaucoup plus cher. »

Retrait forcé des conseils d’utilisation

Une mauvaise nouvelle arrivant rarement seule, cette mise au point médicamenteuse n’est pas l’unique conséquence de ce rappel à l’ordre. La réunion à laquelle il a été formulé avait lieu entre l’administration agricole et les représentants nationaux des associations pour le développement de l’apiculture (ADA). Celles-ci testent régulièrement des techniques et des traitements, en partenariat avec les apiculteurs, et diffusent les résultats de ces tests. C’est ainsi qu’elles donnaient des conseils pour le traitement du varroa, et l’usage de l’acide oxalique. Elles ont donc dû, pour se mettre en règle, retirer les documents qui y faisaient référence, et informer leurs adhérents des risques qu’ils prennent s’ils persistent à utiliser l’acide oxalique. « Nous ne pouvons plus vous diffuser une information innovante et alternative sur les traitements contre le varroa », constate amèrement, dans un courriel à ses adhérents, l’Association de développement de l’apiculture provençale (Adapi).

Ce sont même leurs protocoles de tests que les ADA doivent revoir. Elles pourront continuer à tester des produits sans AMM, à condition que le miel des ruchers où se déroulent les essais soit jeté. Mais les ADA n’ont pas les moyens d’entretenir des ruchers expérimentaux, elles s’appuient sur ceux des apiculteurs professionnels volontaires, qui ont besoin de vendre leur miel pour vivre. « C’est un gros problème, ils risquent de ne plus trouver d’apiculteurs avec lesquels travailler », craint Jean-Marie Sirvins.

« La profession vétérinaire cherche à entrer dans l’apiculture »

« Qu’allons-nous faire du savoir accumulé ces dernières années et que va devenir l’innovation sur les traitements varroa ? Le rôle des ADA se limitera-t-il à vérifier l’efficacité des traitements AMM ? », s’interroge l’Adapi dans son courriel aux adhérents. « Sans nos ADA, on ne serait plus là. Toutes les molécules, produits existants, méthodes communément admises, ont été testées en amont par elles », plaide Marie-France Roux. « On a besoin qu’elles gardent leur capacité d’innovation. »

« Tout cela est dû au fait que la profession vétérinaire cherche à entrer dans l’apiculture », estime Jean-Marie Sirvins. « Et aux grandes firmes qui veulent que l’on n’utilise que des produits sous AMM. » Le processus d’obtention d’une AMM coûte cher, et reste difficilement accessible aux structures de la modeste filière apicole.

Contacté par Reporterre, le ministère de l’Agriculture ne se montre guère attendri par ces arguments. « Seuls les médicaments avec AMM font l’objet d’études de qualité, d’efficacité et d’innocuité (…). Quatorze médicaments vétérinaires sont ainsi autorisés en France pour cette indication thérapeutique (…). Il n’y a donc pas de réduction de possibilités de traitement contre le varroa », dit-on rue de Varenne. Une liste qui ne reflète pas la réalité des possibilités, estime Marie-France Roux, car « le varroa devient résistant à de plus en plus de produits », ce qui explique que de plus en plus d’apiculteurs, y compris en conventionnel, se tournent vers l’acide oxalique.

Sur la question de l’innovation, « la filière apicole, via notamment son interprofession, a la possibilité de se rapprocher des industries du médicament vétérinaire pour aboutir à la mise sur le marché de médicaments vétérinaires anti-varroa adaptés aux besoins de la filière », nous précise encore le ministère, indiquant aux ADA une voie étroite : oui aux expérimentations sur des produits n’ayant pas d’autorisation officielle, mais si on jette le miel et que l’on ne communique pas dessus.

Pour l’instant, la profession a fait le choix de rester discrète sur le sujet. Elle s’organise pour défendre son point de vue auprès du ministère de l’Agriculture. Une solution serait qu’une autorisation de mise sur le marché soit délivrée à l’acide oxalique lui-même. En attendant, c’est un rude hiver que risquent de passer les abeilles domestiques. Une difficulté de plus, alors que la santé des abeilles et donc la production de miel sont de plus en plus aléatoires. Après plusieurs années difficiles, en particulier 2019, 2020 a représenté la première embellie depuis longtemps.

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