« Je suis une personne controversée. La simple mention de mon nom provoque des conflits », avait écrit dans son autobiographie en 2010 le révérend Moon Sun-myung, mort dans la nuit de dimanche à lundi à Séoul à l'âge de 92 ans. Voilà au moins un point sur lequel les Coréens le rejoignent. Car le gourou, mondialement célèbre pour ses mariages de masse organisés dans des stades, et qui se proclamait second messie promis par la Bible, suscitait dans son pays natal beaucoup de méfiance. Voire d'hostilité.

« Les Sud-Coréens ont dans l'ensemble une image très négative de Moon Sun-myung », affirme Tark Ji-il, spécialiste de la secte et professeur de théologie à l'Université presbytérienne de Busan, dans le sud du pays. La Corée du Sud compte 29 % de chrétiens – catholiques et protestants confondus –, souvent fervents, qui « voyaient en lui un hérétique en raison de sa doctrine divine ». Celle-ci affirme que Jésus-Christ n'a pas réussi à sauver l'humanité et que Moon était le deuxième messie chargé d'achever sa mission.

L'essor de l'Église de l'unification depuis sa fondation en 1954 s'est aussi accompagné de scandales sexuels, d'accusations de lavage de cerveau des adeptes et d'accaparement de leurs comptes en banque. Anticommuniste farouche, Moon Sun-myung s'accommodait en outre très bien des régimes de fer des généraux sud-coréens, des années 1960 à 1980. « L'Église de l'unification a offert un soutien sans faille aux dictatures sud-coréennes, rappelle Tark Ji-il. En échange, les entreprises de Moon Sun-myung ont reçu des faveurs telles que des contrats militaires. Les Sud-Coréens continuent donc d'associer fortement la secte à la période dictatoriale. »

Ce qui explique pourquoi, à l'annonce de son décès, aucune personnalité politique ou religieuse du pays n'a réagi officiellement. Sur les réseaux sociaux coréens, les commentaires étaient partagés entre sarcasmes, critiques appuyées, ou éloges plus modérés. « Il a beaucoup contribué au développement de l'industrie du pays », remarque ainsi l'internaute Kim Do-yeon sur le principal site du pays, Nate. « C'était un imposteur, un homme d'affaires qui portait le masque du christianisme », tranche Yang Hyun-chul.

Tark Ji-il remarque que l'accession du septième fils du gourou, Moon Hyung-jin, à la tête de la secte, s'est accompagnée d'une modification des pratiques de celle-ci, et d'un accroissement continu du nombre des adeptes. « L'organisation s'empare toujours de l'argent des fidèles, mais on ne pratique plus le lavage de cerveau », souligne-t-il.

Moon Hyung-jin, qui a étudié la théologie à l'université américaine de Harvard, a su polir l'image de l'église familiale. Son frère Moon Kuk-jin a pris la charge de son volet commercial, un empire qui comprend des entreprises d'armement, d'agroalimentaire, de médias ou de construction civile. La secte possède aussi une université flambant neuve, Sunmoon, située au centre du pays. Kim (1) y est lectrice depuis plusieurs années. Athée et non-mooniste, elle regrette la mauvaise image dont pâtit son université. « Bien sûr, chaque étudiant est obligé de suivre quelques cours de théologie. Mais c'est le cas de toutes les universités gérées par des Églises évangéliques, et personne ne s'en émeut. »

Les funérailles de Moon Sun-myung sont prévues le 15 septembre. D'ici là, des milliers d'adeptes devraient affluer dans la petite ville de Gapyeong, à l'est de Séoul, où repose la dépouille du révérend défunt. Une délégation nord-coréenne y est même attendue : Moon Sun-myung, né au nord de la frontière, avait rencontré le dirigeant communiste Kim Il-sung en 1991.

« La doctrine de son Église affirme que le royaume des cieux sera établi sur terre, plus précisément en Corée… ce qui inclut le Nord, signale Tark Ji-il. Cela explique les liens tissés avec le régime nord-coréen. » La secte a construit au Nord une usine d'automobiles. Lors des funérailles de Kim Il-sung en 1994, et de son fils Kim Jong-il en 2011, Moon Sun-myung avait dépêché des membres de sa famille. Le régime devrait donc lui rendre l'hommage, ce qui promet d'être un casse-tête diplomatique pour Séoul.

En France, un mouvement en perte de vitesse

Le mouvement « Moon » est, d'après la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), depuis longtemps en perte de vitesse en France. « On estime le nombre d'adeptes entre 200 et 300 », indique son secrétaire général, Hervé Machi, qui souligne qu'aucune plainte n'a été reçue par la mission depuis dix ans, « ni de la part d'éventuelles victimes, ni de la part de proches ». À Paris, seul « l'Espace culture et paix », dans le 13e arrondissement, est identifié comme une émanation de « Moon ».

Après un essor dans les années 1970-1980, l'organisation a connu un repli qui ne semble pas se démentir. Elle fait toutefois l'objet d'une certaine attention « car la France est concernée par les actions de prosélytisme du mouvement auprès des institutions internationales », relève Hervé Machi.