Environnement

En Creuse, quelle est cette agriculture qui prospère à l'ombre de ses arbres ?

Comprendre et s’adapter

En Creuse, quelle est cette agriculture qui prospère à l'ombre de ses arbres ?
Le jury du concours départemental s’est rendu sur chacune des quatre exploitations pour apprécier et évaluer les pratiques mises en place par les agriculteurs. Ici, Françoise Sire de Prom’haies aux côtés de Sylvain Brunet, éleveur du Gaec du Puy des Forges, à Saint-Christophe © BARLIER Bruno
En 2024, la Creuse participera au Concours général agricole des pratiques agroécologiques dans la catégorie agroforesterie. Une première qui espère planter l’idée, ici, comme ailleurs, que l’agroécologie est une pratique d’avenir. Dans ce département où le bocage, encore préservé, reste une richesse inestimable, quatre exploitations montrent l’exemple d’une relation fructueuse entre l'agriculture et l’arbre.

Quand on évoque l’agroforesterie, on imagine ces champs de blé et ces vignes où s’étirent au-dessus d’eux des noyers, des pommiers ou des peupliers. Une cohabitation intraparcellaire de l’arbre et de l’agriculture qui chez nous, se décline de manière périphérique aux parcelles, à travers le bocage. C’est d’ailleurs le système agroforestier le plus représenté en France.

Ce n’est donc pas un hasard si, dans le cadre du Salon de l’agriculture, la Creuse a donné quatre candidats au Concours général agricole des pratiques agroécologiques 2024 dans la catégorie agroforesterie. Une fierté pour Pascale Durudaud, vice-présidente de la Chambre d’agriculture de la Creuse et présidente du jury du concours départemental (1), qui se réjouit d’une "belle mise en valeur de notre département". D’autant qu’il s’agit d’une première fois dans cette catégorie et qu’il est le seul à représenter la grande région.

"Aujourd’hui en Creuse, on a 36.000 km de haies, c’est le second département de France en termes de linéaire, preuve que l’agriculture creusoise est vertueuse depuis longtemps, elle a maintenu ce bocage et le maintient encore."

Pascale Durudaud (vice-présidente de la Chambre d'agriculture de la Creuse et présidente du jury du concours départemental)

Travailler avec l’arbre et la haie

À l’image du Gaec du Puy des Forges, à Saint-Christophe, l’un des quatre candidats au concours, où les parcelles bocagères conjuguent prairies (permanentes et temporaires) et haies. "On a énormément de haies, assez peu de grandes parcelles. C’était comme ça, on n’a jamais modifié les surfaces", explique Sylvain Brunet.

En Creuse, la haie bocagère pourrait se tailler un foisonnant avenir grâce au projet MobBiodiv' 2020

Sur cette exploitation de 200 hectares, passée en bio dès 1997 et qu’il a repris il y a quinze ans (2), son associé et lui essayent de poursuivre la philosophie initiale des lieux. "On entretient forcément pour nos fils de clôture mais on essaye toujours de préserver au maximum la biodiversité", détaille l’éleveur. Même s’il concède que "les grandes parcelles, c’est forcément plus pratique pour la mécanisation", cet agriculteur est conscient des enjeux de l’agroforesterie.Sur le Gaec du Puy des Forges, à Saint-Christophe, une centaine de mètres de haie a été recépée ce début d'année pour la rajeunir et également fournir des plaquettes de bois qui servira à la litière des animaux de l'exploitation @ Bruno Barlier

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Les quatre candidats : Le Gaec de Sugères à Boussac-Bourg, le Gaec de Vervialle à La Nouaille, le Gaec de Fontloup à Montboucher et le Gaec du Puy des Forges à Saint-Christophe.
Le lauréat du concours départemental des pratiques agroécologiques (catégorie agroforesterie) représentera la Creuse au concours général du Salon de l’agriculture en 2024.

Tout comme Nicolas Dupont, agriculteur en bio à la Nouaille depuis 15 ans. Sur le Gaec de Vervialle, dont les parcelles s’éparpillent sur cinq sites de 60 à 100 hectares (3), "on travaille depuis toujours avec les arbres et les haies". 

"On n’est pas du tout dans la mentalité de tout couper pour ne pas être gêné. C’est plutôt l’inverse. Quand les autres coupent, moi je replante."

Nicolas Dupont (Gaec de la Vervialle, La Nouaille)

Ombrage pour les troupeaux, refuge pour la biodiversité, sur cette exploitation entre landes et tourbières, "on travaille tout à la main", "on fait du pâturage pour entretenir les terrains", on a banni la cisaille hydraulique "parce que c’est catastrophique" et le lamier "parce que ça mâche les bois, ça abîme les arbres". À leur pied, on "abandonne" à la nature "une zone de 4 mètres en haies" dont on s’emploie juste à limiter les débordements.

Dans le sud-est de la Creuse, ce GAEC plante des haies aux multiples usages

@Bruno Barlier

On a souhaité décliner ce concours à l’échelle du département avec quatre agriculteurs qui se sont engagés dans des pratiques agroécologiques", explique Marin Baudin, paysagiste-conseil du Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE).

L’idée, c’est de mettre en valeur des pratiques agroécologiques, c’est-à-dire une agriculture qui prend en compte des pratiques en faveur des haies, des arbres, de l’environnement plus généralement.

Les quatre exploitations candidates recoupent des domaines de productions très diverses, avec des pratiques agroécologiques aux motivations parfois différentes, que ce soit sur des prairies, sur des parcours ou sur des gestions agroforestières, en intraparcellaire (à l’intérieur d’une parcelle) ou sur du bocage (en périphérie de la parcelle).

"On travaille dans le respect de la nature, ça nous plaît énormément parce que ce sont nos principes de base", résume Nicolas Dupont qui a bien compris que les services qu'elle lui rend sont un coup de main inestimable au quotidien.Ombrage pour les troupeaux, coupe-vent, puits de carbone et d'eau, refuge de biodiversité, fertilisants, la haie et les arbres rendent bien des services indispensables@ Bruno Barlier

"Quand on est généreux avec la nature, elle est généreuse avec nous", observe-t-il et de citer l’armée diligente de pollinisateurs qui assurent le rendement de son sarrasin, la flopée de petits oiseaux et de rapaces qui le débarrassent des ravageurs et des rats taupiers. "C’est simplement un écosystème qui fonctionne" favorisé par la présence d’arbres et de haies sur ses parcelles.

"Les haies sont multifonctionnelles. Elles sont bien évidemment un refuge pour la biodiversité, mais elles vont être aussi utiles en matière de rétention et de qualité de l’eau, de stockage du carbone, elles contribuent à nous offrir des paysages de qualité et rendent des services d’intérêt général à l’ensemble de notre société."

Françoise Sire (représentant Prom’haies en Nouvelle-Aquitaine (4) et membre du jury du concours départemental qui précède le Concours général agricole.)

Dérèglement climatique : planter, planter et planter encore

Diversification des sources de revenus par la vente de bois, accroissement des rendements par la création de microclimats, amélioration du bien-être animal par l’ombrage, contrôle des populations de ravageurs par la mise à disposition d’un refuge aux prédateurs, amélioration de la qualité de l’eau par la filtration du système racinaire, maintien de la biodiversité, protection et fertilisation des sols, diversification des paysages, "la question de la haie et de l’arbre permet de toucher du doigt de nombreuses problématiques", souligne Françoise Sire. L’agroforesterie est non seulement un placement d’avenir pour les agriculteurs mais un outil des plus efficaces pour atténuer le dérèglement climatique.

Pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, il faudrait, d’ici là, planter chaque année 25.000 km de haies@ Florian Salesse

En plus de toutes les autres fonctions qu’elle assure, la biomasse des arbres et des haies participe de manière très importante à la captation et au stockage du carbone (CO2), l’un des gaz à effet de serre responsable du réchauffement climatique.

L’ex-présidente de Prom’haies évoque ainsi le scénario Afterres2050, réalisé par Solagro, association qui conseille et forme dans le secteur de l’agroécologie. Il liste tout ce qu’il faudrait faire au niveau agricole pour atteindre la neutralité carbone en 2050, conformément aux engagements de la France et de l’Europe. "Si on voulait que la haie contribue à atteindre la neutralité carbone en 2050, il faudrait en planter 25.000 km par an. Et on est encore bien, bien loin de ce chiffre, alors qu’on est dans l’urgence. Le dérèglement climatique ce n’est plus une hypothèse, c’est une réalité, donc on ne pas se permettre d’attendre cinq, dix ans pour réagir", insiste Françoise Sire.

Des services écosystémiques qu’il faut absolument faire perdurer, à l’heure où s’emballe le dérèglement climatique. 

"On essaye de fixer un maximum de carbone avec nos haies, nos arbres, pour nous, pour le bien commun. C’est de cette façon que j’ai envie de travailler, le Gaec aussi. Quand je vois ces parcelles nues, ce n’est pas ce que j’ai envie de voir pour la suite…"

Sylvain Brunet (Gaec du Puy des Forges, Saint-Christophe)

Quitte à ce que ces convictions lui imposent parfois "plus de travail ». 75 % des haies du territoire sont implantées sur des parcelles agricoles, "il faut donc qu’elles rendent service aux agriculteurs pour qu’ils en mesurent l’intérêt, les maintiennent et les gèrent correctement", explique Françoise Sire. Que, d’une “contrainte” à entretenir, elles leur apportent finalement une certaine liberté. Car outre leur intérêt écologique, les haies ont aussi un intérêt agronomique et économique.@Bruno Barlier

La haie : un investissement d'avenir pour la planète et pour l'agriculture

Ce début d’année, Sylvain Brunet a par exemple recépé 200 mètres de haies sur la dizaine de kilomètres que compte l’exploitation, conservant quelques arbres de haut jet pour l’ombrage de ses bêtes. "On a gardé quelques troncs pour faire du bois de chauffage et on a broyé le reste pour faire de la plaquette pour la sous-couche de litière des animaux", explique l’éleveur. En tout, 80 m³ de plaquettes, soit de quoi assurer une demi-saison de litière et pour l’éleveur, autant de paille en moins à acheter.

Le Gaec va ainsi s’engager dans un plan de gestion des haies (lire ci-dessous) pour recenser ses linéaires, le guider sur les plus intéressants à valoriser, sur ceux qui méritent un peu plus d’attention et tendre, peu à peu, vers l’autonomie grâce aux plaquettes issues de ses haies.

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Du côté de La Nouaille, la paille de blé des cultures de l’exploitation subvient aux besoins en litière. En revanche, Nicolas Dupont envisage de valoriser le bois de certaines haies pour son usage personnel. Sur un grand plateau de 20 hectares, rasé de toute bruyère et de tout arbre par le propriétaire précédent, il a planté, en début d’année, un kilomètre de haie double pour couper cette grande surface et "ramener du vivant", "de l’ombre pour les bêtes", de quoi permettre à l’eau de mieux s’infiltrer et assurer l’autonomie en chauffage de sa maison.

"Pour l’instant, ce sont des petits bouts de chou, mais quand ça aura poussé, je sais que si j’élague sur 10 % de ce kilomètre en faisant un roulement chaque année, j’aurais du bois pour chauffer une maison complète. C’est complètement durable !"

Nicolas Dupont (Gaec de la Vervialle, La Nouaille)

Le jury du concours départemental dévoilera le résultat en septembre prochain @Bruno Barlier


Au final, dans cette relation harmonieuse, où l’économie n’est plus l’adversaire de l’écologie, l’homme laisse simplement à la nature le temps de croître et de rendre ses services écosystémiques avant de prendre sa part au moment opportun. "La plantation d’arbres et de haies en milieu agricole n’a vraiment de légitimité que si elle accompagne un programme de conservation des haies et leur conservation passe par leur valorisation", insiste Françoise Sire, qui a été plutôt impressionnée par le travail réalisé sur les quatre exploitations qu’elle a visité en Creuse avec les autres membres du jury.

"J’ai été frappée d’abord par la modestie de ces agriculteurs. Je pense qu’ils ne se rendent pas compte que la façon dont ils travaillent et les efforts qu’ils font au quotidien sont d’intérêt général"

Françoise Sire (représentant Prom’haies en Nouvelle-Aquitaine)

Elle est également admirative de "leur attachement à leur territoire", de leur volonté "de faire les choses bien", de "leur curiosité" aussi, "de faire des choses nouvelles, de se diversifier".

"J’ai rencontré des personnes solides, heureuses, ce sont des agriculteurs qui ne sont pas dans une vision passéiste de leur métier" , ajoute Françoise Sire pour qui l’objectif de ce concours, "est vraiment de valoriser des agriculteurs qui ont des pratiques vertueuses". Qu’ils en deviennent les "porte-parole" en Creuse mais aussi au-delà. 

Tendre vers l’autonomie avec un plan de gestion des haies

S’engager dans des pratiques agroécologiques, c’est aussi travailler pour le long terme et entrer dans une logique de gestion plutôt que d’entretien.
Pour convaincre de l’intérêt de concilier haies, arbres et agriculture et au-delà de participer simplement à l’intérêt général, il faut des arguments plus incitatifs que le bonus haies de 7€ l’hectare (5) promis par la PAC (2023-2027).

"Il faut que les agriculteurs y trouvent un intérêt particulier, qui va leur apporter un bénéfice direct", explique Françoise Sire de Prom’haies. Pourquoi pas celui de l’autonomie ? C’est ce qui a poussé Sylvain Brunet, à Saint-Christophe, à engager son Gaec dans un plan de gestion de ses haies pour mieux les valoriser, avec l’aide de l’expertise du CPIE des pays creusois et de l’appui de la Chambre d’agriculture de la Creuse.

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Son objectif est de tendre vers l’autonomie totale, par souci économique mais aussi par préoccupation écologique. "La seule chose que l’on a besoin d’acheter actuellement, c’est de la paille pour compléter la litière de nos animaux (6) et ce n’est pas toujours facile d’en trouver en Creuse, donc si on peut trouver une solution avec nos haies", espère l’éleveur.
De jeunes rejets émergent de cette souche de frêne suite à un recépage @Bruno Barlier 

Ce plan de gestion lui permettra de dresser un état des lieux, un diagnostic, de définir ses attentes et ses objectifs, "de savoir où, quand et comment couper" et au final de valoriser plus durablement son linéaire pour répondre à ses besoins.
Cette vision sur le long terme permet d’éviter l’écueil de couper la branche sur laquelle on est assis et de s’assurer davantage de sécurité et donc... de liberté.

"Aujourd’hui encore en Creuse, un bel arbre, on se dit que ça peut faire beaucoup de bois de chauffage sans comprendre que si on coupe juste une partie par an, cet arbre continuera de produire du bois. Il t’en faudra peut-être vingt pour obtenir la quantité de bois que tu aurais eu si tu avais abattu ce bel arbre mais par contre, au lieu d’en avoir juste sur une année, tu en auras tous les ans."

Nicolas Dupont (Gaec de la Vervialle, La Nouaille)

L’illustration par l’exemple des principes de l’agroforesterie et des intérêts agronomiques de l’arbre et de la haie si on les gère intelligemment. 

(1) Le jury compte des représentants du Conservatoire des espaces naturels de Nouvelle-Aquitaine, le CPIE des pays creusois, l’association Prom’haie en Nouvelle-Aquitaine, la DDT, la Chambre d’agriculture et le CAUE de la Creuse qui pilote cette candidature. 
(2) Bovins, porcins, huile de tournesol et pommes de terre.
(3) Bovins, ovins, huiles de tournesol, chanvre, colza, sarrasin, paille de chanvre pour l’écoconstruction.
(4) L’association Prom’haies agit en faveur de la haie et de l’arbre hors forêt.
(5) Pour la Fédération nationale Afac-Agroforesteries dont Prom’haies assure la présidence, il faut raisonner davantage à l’échelle d’une exploitation et plus d’une parcelle, planifier dans le temps et non plus sur une année et surtout revaloriser le bonus haies.
(6) Constituée également d’une sous-couche de plaquettes.

Texte : Julie Ho Hoa
[email protected]
Photos : Bruno Barlier, Florian Salesse


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2 commentaires

Louis a posté le 17 juillet 2023 à 20h51

Très bien ce reportage de la chose vivante. Elle est formidable cette rédactrice. Venez aussi voir dans le nord ouest Creuse les ravages effectués par d'ignobles producteurs de céréales qui ont détruits toutes les haies au profit certainement de résultats médiocres. Et en plus ils peuvent irriguer, et disposent des moyens de le faire en toute quiétude.

Manu23 a répondu le 18 juillet 2023 à 07h11 Effectivement, très bon article.si seulement les agris creusois pouvaient être convaincu de la haie! La situation est catastrophique vers St Agnant sur ce sujet.la haie favorise les rendements en apportant de la matière organique, limitant le ruissellement, limitant le vent..la clé de l adaptation au changement climatique. Encore une fois la chambre d Agri préfère le maïs et les methaniseurs... dommage !

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