Le 25 mai 2023, un opuscule intitulé Le Français va très bien, merci, rédigé par un collectif de linguistes « atterrées » réfutant les discours déclinistes sur l’état de la langue française, paraît dans la collection « Tracts » des éditions Gallimard (64 pages, 3,90 euros). Appelant de leurs vœux une nouvelle réforme de l’orthographe, les signataires commencent par appliquer les rectifications orthographiques décidées par le Conseil supérieur de la langue française en 1990, mais aussi l’accord de proximité et l’invariabilité des participes passés des verbes conjugués avec l’auxiliaire « avoir ». La réaction ne se fait pas attendre : la veille de la parution du tract, une tribune au titre antithétique est publiée dans Le Figaro, « Le français ne va pas si bien, hélas », signée « par une vingtaine de spécialistes et amoureux du français ». Ces derniers fustigent le discours d’« une grande mauvaise foi » des auteurs du volume édité par Gallimard, s’insurgent d’y lire que « le participe passé avec l’auxiliaire avoir tend à devenir invariable » et résument laconiquement : « A ce train-là, on peut supprimer l’enseignement de l’orthographe. »
« Psychodrame franco-français », pour reprendre la formule de la linguiste Nina Catach (1923-1997) dans son ouvrage Les Délires de l’orthographe (Plon, 1989), les débats autour de la graphie et de ses éventuelles réformes sont d’autant plus vifs à l’heure actuelle que, régulièrement, la maîtrise approximative de l’orthographe par les élèves français est montrée du doigt. Qu’elle soit considérée comme un échec du système scolaire, comme le reflet d’une paresse qui serait toute contemporaine, ou comme la preuve de la nécessité de modifier certaines règles orthographiques, la baisse de niveau se confirme et se précise. En décembre 2022, une enquête publiée par la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance montre que le nombre moyen d’erreurs sur une même dictée a doublé depuis 1987.
Des explorations controversées de l’écriture inclusive – qui propose, entre autres nouveautés, un nouveau signe typographique, le point médian – aux hésitations lorsqu’il s’agit d’écrire le pluriel de certains mots empruntés à d’autres langues, l’orthographe demeure un lieu d’interrogations protéiformes et d’oppositions récurrentes. S’y confrontent, d’une part, les partisans d’une rénovation, simplification ou harmonisation des exceptions et, d’autre part, les défenseurs d’une tradition davantage étymologique, respectant l’héritage des siècles, telle l’écrivaine et académicienne Danièle Sallenave, qui énonce dans un article de 2016 : « Simplifier l’orthographe, ou la rendre plus proche de la prononciation, c’est rendre inintelligibles les textes du passé. » Quoique profondément actuelle dans ses modalités et ses enjeux, cette querelle semble pourtant exister depuis toujours : « Il y a bien un problème de l’orthographe et il y en a toujours eu un », clament, dès 1969, les linguistes Claire Blanche-Benveniste et André Chervel dans L’Orthographe (Maspero). Revenons donc aux origines de cet épineux débat.
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