Les professeurs, Beyrouth, 1909.

Les professeurs, Beyrouth, 1909.

©Bibliothèque de l’Alliance Israélite Universelle / Photothèque de l’Alliance Israélite Universelle (Paris)

Il y eut Hajj, le pèlerinage à la Mecque en 2014, puis Chrétiens d'Orient trois ans plus tard. Aujourd'hui, l'Institut du monde arabe boucle la boucle des grandes religions monothéistes sur ses cimaises avec Juifs d'Orient. Une histoire plurimillénaire. Jack Lang, aux manettes de l'institution, a confié les rênes de ce troisième volet à l'historien Benjamin Stora, spécialiste des relations judéo-arabes, accompagné par Elodie Bouffard et Hanna Boghanim Nala Aloudat. Des rives de l'Euphrate, où les juifs étaient présents avant le début de notre ère chrétienne, aux plateaux de l'Atlas, de leur expulsion d'Espagne à leur essor dans l'Empire ottoman puis de leur exil du monde arabe à la suite de l'influence croissante de l'Europe en Méditerranée, c'est le récit d'une longue coexistence, tour à tour harmonieuse ou conflictuelle, qu'il s'agit de retracer. Sans prétendre à une impossible exhaustivité sur le sujet, Benjamin Stora a "choisi des moments singuliers, privilégié certaines oeuvres, insisté davantage sur tel ou tel aspect de la longue présence juive en Orient".

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parchemin

Parchemin d'Esther, probablement Constantinople (Istanbul), vers 1875.

/ ©Tel-Aviv, Coll. privée William L.Gross

L'exposition, la première d'envergure consacrée au sujet, se déploie sur plus de 1000 mètres carrés. Vestiges archéologiques, manuscrits anciens, vêtements et parures, objets de culte, peintures, photographies et installations vidéo, près de 300 oeuvres, religieuses ou profanes, sont réunies - grâce au concours de musées internationaux et de collections privées dantesques, dont celles de la Gross Family, à Tel-Aviv, et de Paul Dahan, à Bruxelles. Nombre de pièces présentées étaient jusqu'ici inédites en Europe. Ainsi de ce parchemin du livre d'Esther, probablement issu de Constantinople (Istanbul), quand, à partir de la fin du XIVe siècle, les séfarades quittent la péninsule Ibérique pour fuir les conversions forcées au christianisme et s'installer sur le Vieux Continent, au Maroc, ou dans l'Empire ottoman qui voit, en Turquie, leur présence subsister jusqu'au XXe.

tik torah

Tik pour la Torah, Jérusalem, 1914.

/ ©Tel-Aviv, Coll. privée William L.Gross

Plus loin, une série inédite de manteaux (ou tik) pour la Torah, destinés à contenir un rouleau du texte religieux, en jettent plein la vue par la richesse de leurs ornements et la dimension sacrée qui s'en dégage.

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Autres pièces phares du parcours, les ouvrages d'orfèvrerie du Yémen, où les bijoutiers juifs - dont l'excellence traverse les siècles jusque dans les années 1990 - sont réputés pour leur habileté à la dorure. A Sanaa, ces orfèvres répondent aux commandes de leurs coreligionnaires comme des musulmans, travaillant notamment l'or pur pour les proches de l'imam. Bracelets, colliers ou pendentifs révèlent néanmoins quelques subtiles différences de motifs selon l'appartenance ethnique et sociale de leurs destinataires.

yémen

Bracelet (argent et dorure), Yémen, vers 1930.

/ ©Tel-Aviv, Coll. privée William L.Gross

Sur le territoire européen, au XIXe siècle, ce sont les peintres qui témoignent de l'immense vogue orientaliste et de l'attrait pour les "beautés hébraïques" peuplant leurs toiles. Au Salon de 1841, la Noce juive dans le Maroc de Delacroix fait sensation.

Le cador français du romantisme, qui séjourne en 1832 à Tanger, où il est introduit par le drogman (interprète officiel) Abraham Benchimol chez les familles du cru, y porte un nouveau regard sur les communautés juives en terre d'islam. Avec sa Noce, sur laquelle la mariée brille par son absence, le maître sort de sa zone de confort pour éviter tout compromis chatoyant.

chasseriau

Théodore Chassériau, "Juive d'Alger assise, de face, et juivede profil", Constantine (Algérie), 1846.

/ ©Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques, Cabinet des dessins

Dans la foulée de Delacroix, Théodore Chassériau se rend à Constantine en 1846, alors que la conquête coloniale confronte la région à de violents combats, et c'est encore la communauté juive qui l'inspire. Dans son tableau de 1847, aujourd'hui disparu, Jour du sabbat dans le quartier juif à Constantine, Chassériau célèbre, à sa façon, celles qui deviennent les "belles Israélites aux longs yeux noirs" sous la plume du critique Louis Clément de Ris. Dans une lettre de l'époque, l'artiste résume son sentiment : "J'ai vu des choses bien curieuses, touchantes et singulières. Dans Constantine, qui est élevé sur des montagnes énormes, on voit la race arabe et la race juive comme elles étaient à leur premier jour."

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