Disparition

Mort de Jean Raspail, prophète du «grand remplacement»

Culte à l'extrême droite, son principal ouvrage, «Le camp des saints», décrit la submersion de l'Occident par une apocalypse migratoire.
par Dominique Albertini
publié le 13 juin 2020 à 17h30

Il avait donné, voilà presque un demi-siècle, une forme littéraire au spectre du «grand remplacement». Écrivain à la considérable influence sur les extrêmes droites occidentales, Jean Raspail est décédé ce samedi à Paris, à l'âge de 94 ans. Son roman le plus connu, Le camp des saints, peignait la submersion du monde blanc par des hordes de migrants. Écoulée à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires en France, cette fiction d'apocalypse s'était rapidement vue attribuer un statut culte et une valeur prophétique par les opposants à «l'immigration de masse». Hospitalisé à l'hôpital Henry-Dunant, l'écrivain, catholique traditionaliste et d'opinion monarchiste, avait reçu vendredi les derniers sacrements.

Auteur d'une quarantaine d'ouvrages, souvent inspirés par ses nombreux voyages autour du monde, Raspail avait achevé «d'un trait» en 1972 le Camp des saints, publié l'année suivante chez Robert Laffont. Le récit met en scène l'odyssée d'un million de migrants indiens, embarqués sur une flotte de fortune qui les conduit jusqu'aux côtes de Provence. Décrits comme une masse grouillante, infecte et meurtrière, les «envahisseurs» submergent en quelques mois la plus grande partie de l'Europe, imposant aux autochtones une humiliante colonisation à rebours.

Dans un style jugé inspiré par ses admirateurs, et par d'autres brutalement raciste, Raspail n'épargne au lecteur aucun des dégradants supplices infligés aux blancs. Il est vrai qu'il fait de ceux-ci les artisans de leur propre fin, décrivant les trahisons successives des élites morales, intellectuelles, politiques et militaires : ces dernières ferment les yeux, au nom d'un humanisme taré, à ce qui se révèle être une authentique invasion. «Nous mourrons lentement rongés de l'intérieur par des millions de microbes introduits dans notre corps», conclut tristement le narrateur du roman.

Admiré par Steve Bannon et Marine Le Pen

Submersion migratoire, capitulation d'un Occident suicidaire : l'ouvrage porte à leur paroxysme tous les cauchemars de l'extrême droite et de certains milieux conservateurs. Vendu à 130 000 exemplaires en France depuis 1973, il a vu son audience dépasser largement les frontières nationales. Le président américain Ronald Reagan fut parmi ses lecteurs, de même que le théoricien du «choc des civilisations», Samuel Huntington. L'ex-conseiller de Donald Trump, Steve Bannon, avait fait du roman l'une de ses références. En France, Marine Le Pen confiait en 2015 le trouver «d'une acuité et d'une modernité incroyables», invitant les Français «à lire ou à relire» Raspail.

Écrit en 1973, sous une législation moins sévère en matière d'incitation à la haine, le livre n'a jamais fait l'objet d'aucune poursuite. Raspail a toutefois pris la peine d'insérer, en fin d'ouvrage, la liste des 87 passages qui pourraient lui valoir de telles procédures sous le régime actuel. Chez Robert Laffont, on jugeait en 2015 que l'ex-globe trotter «transpose simplement chez nous ce qu'il a vu dans d'autres contrées, des tribus qui se font avaler par d'autres». En 2011, au Figaro, ce monarchiste se désolait encore de voir «une grande part de notre jeunesse d'ores et déjà mutante, technologiquement, culturellement», et le «processus de métissage des corps entamé» par «l'instillation de gènes étrangers».

Ces opinions n'en avaient pas fait un proscrit littéraire. Il a été honoré de nombreux prix, dont le Grand prix du roman de l'Académie française en 1981 pour Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie. Neuf voix lui avaient cependant manqué en 2 000 pour rejoindre les Immortels.

Pour plusieurs de ses admirateurs, le décès de l'écrivain alors que bat son plein le mouvement mondial Black lives matter est apparu, samedi, comme un angoissant signe des temps. Raspail «vient de rejoindre cet au-delà des mers si cher à son cœur, juste au moment où la barbarie raciste déferle sur notre civilisation». Pour le chroniqueur du Figaro, Ivan Rioufol, «Raspail est mort, la France n'arrive pas à respirer» - allusion au slogan antiraciste «I can't breathe». Tandis que Marine Le Pen a de nouveau invité ses amis à «(re)lire le Camp des Saints qui, au-delà d'évoquer avec une plume talentueuse les périls migratoires, avait […] décrit impitoyablement la soumission de nos élites».

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