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Jean-Luc Mélenchon a rebattu les cartes du vote populaire

Jean-Luc Mélenchon a rebattu les cartes du vote populaire

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Jusqu’ici, certains semblaient tenir pour acquis que le FN était devenu le réceptacle naturel du vote populaire. Au passage, ils oubliaient que ce dernier se manifeste d’abord par l’abstention, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Mais depuis le premier tour de l’élection présidentielle, une nouvelle donnée est apparue avec la percée conséquente de Jean-Luc Mélenchon dans des couches qui semblaient avoir fait leur deuil de la gauche depuis la marginalisation du PCF.

S’il ne rebat pas complètement les cartes, le changement est notable. A la lecture des résultats, Frédéric Dabi, directeur adjoint de l’IFOP, a déclaré : « C’est un vote de classe ». Certes, chez les ouvriers, Marine Le Pen arrive toujours en tête (34%), mais elle est suivie par Jean-Luc Mélenchon (24%) loin devant Emmanuel Macron (16%), tandis que Benoît Hamon est renvoyé dans les limbes (5,4%). Chez les chômeurs, Marine Le Pen réalise 30% des voix, talonnée par Jean-Luc Mélenchon (27,5%), suivi par Emmanuel Macron (17,9%). De même, chez les employés, la candidate FN est en tête (30,1%), devant le candidat des Insoumis (23,1%) et celui du mouvement En Marche (16,8%).

Voilà qui dessine un paysage nouveau, confirmé par la progression spectaculaire de Jean-Luc Mélenchon dans des régions longtemps en perdition électorale. Il est en tête en Seine-Saint-Denis (34%), ancien bastion de l’ex-ceinture rouge, entre-temps passé au rose PS. Dans nombre de villes à direction communiste de la banlieue parisienne, il dépasse les 40%. Dans le Nord et le Pas-de-Calais, sur ces terres où le FN a réalisé des percées spectaculaires, Jean-Luc Mélenchon enregistre des gains qui ne le sont pas moins. Au total, si Marine Le Pen n’a pas réalisé le score qu’elle espérait et que lui prédisaient les sondages en début de campagne, c’est en raison de ce retournement de situation, imprévu par tous les experts.

Le meilleur moyen d’endiguer la machine FN, c’est d’aller le combattre sur le terrain du vote populaire

Ceux qui cherchent des poux dans la tonsure du leader des Insoumis à propos de son positionnement pour le second tour seraient bien inspirés d’en tenir compte. Le meilleur moyen d’endiguer la machine FN, c’est d’aller le combattre sur le terrain du vote populaire, pour regagner ceux qui se trompent de colère. De ce point de vue, Jean-Luc Mélenchon a réussi son pari, et il sera intéressant d’en mesurer les conséquences lors des élections législatives.

S’il en est ainsi, ce n’est pas seulement parce que le candidat des Insoumis est un orateur connu et reconnu. Ce n’est pas seulement parce que son équipe a mené une campagne décapante et innovante, notamment sur les réseaux sociaux, au point de convaincre nombre d’abstentionnistes et de virer en tête chez les jeunes (30% de voix chez les 18-24 ans). Ce n’est pas davantage parce que ses électeurs ont ignoré son programme, comme l’ont affirmé ces esprits supérieurs persuadés que quiconque ne vote pas comme eux est forcément un ignare ou un analphabète. Le programme des Insoumis a été l’un des premiers à être mis sur la table publique, à être diffusé sous forme de livrets et à être explicité à chacun des meetings, ce qui change des candidats ayant cultivé le flou et l’ambiguïté.

En vérité, le nouveau positionnement opéré par Jean-Luc Mélenchon a commencé à changer la donne par rapport à 2012, époque à laquelle il avait été également piégé par la logique folle du « vote utile » au profit de François Hollande. Cette fois, le leader de la France insoumise a dépassé le cadre étroit d’une « gauche » dévalorisée par le quinquennat qui s’achève. Il s’est adressé au peuple, quitte à défriser parfois ses partenaires communistes. La floraison de drapeaux tricolores lors de ses meetings en est l’un des symboles, de même que les références réitérées à la patrie, à la République, ou à la laïcité, des thèmes souvent oubliés à la gauche de la gauche, quand ils n’étaient pas carrément diabolisés sous prétexte que d’autres ont font un usage dévoyé.

Jean-Luc Mélenchon a réussi à enrayer la résistible ascension de Marine Le Pen là où il faut le faire

A propos de l’Europe, Jean-Luc Mélenchon a développé une rhétorique habile dépassant le clivage stérile entre Eurobéats et Europhobes. Enfin, concernant l’immigration - sujet structurant dans les milieux populaires -, il a rompu avec une vision angélique. Il a assumé un discours plus complexe sans en rabattre sur la solidarité, la fraternité et la France « métissée » célébrée lors de son meeting de Marseille, où il est arrivé en tête.

Tous ces éléments, et bien d’autres, expliquent le succès des Insoumis sur des terres où ils semblaient en voie d’inéluctable marginalisation. A contrario de la vague dominante jusqu’ici, les victimes de la crise et les oubliés de la mondialisation néolibérale ont été sensibles à une petite musique qui se situe aux antipodes du message frontiste. Nul ne sait s’il s’agit d’un phénomène durable ou pas. Reste que Jean-Luc Mélenchon a réussi à enrayer la résistible ascension de Marine Le Pen là où il faut le faire : dans les esprits, avec traduction concrète dans les urnes. Médiatiquement parlant, c’est sans doute moins spectaculaire que les déclarations d’intention et les postures avantageuses. Politiquement, c’est plus efficace.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne