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Dérives sectaires : "les classes supérieures ont un faux sentiment de sécurité"
Une équipe de ministres volontaires de la secte de l'Eglise de Scientologie arpentent la Promenade des Anglais en période de déconfinement.
ARIE BOTBOL / Hans Lucas / Hans Lucas via AF

Dérives sectaires : "les classes supérieures ont un faux sentiment de sécurité"

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L'Union nationale de défense des familles et de l'individu (Unadfi) et l'institut Odoxa publient les résultats d'une enquête menée en décembre sur les Français et les dérives sectaires. Si la notion d'emprise est bien connue dans la population, les clichés sur les dérives sectaires et leurs victimes sont tenaces. Et les classes supérieures, particulièrement visées par le New Age, ont tendance à se sentir à l'abri.

Que savent les Français du phénomène sectaire d'aujourd'hui ? Une enquête de l'Union nationale de défense des familles et de l'individu (Unadfi) et de l'institut Odoxa, rendue publique ce lundi 17 janvier, permet de cerner un peu mieux les connaissances et les lacunes des Français quant aux dérives sectaires présentes dans l'Hexagone. Un constat s'impose : les Français ont une image surannée des dérives sectaires. Une représentation forgée dans les années quatre-vingt ; celle de groupes spirituels fermés et secrets, qui ont pour figure centrale celle du gourou. Selon l'étude en effet, 84 % des Français pensent qu'on ne peutparler de « secte » que lorsque « des personnes vivent en communauté, repliées sur elle-même » et 73 % lorsque « le groupe est composé d'au moins 50 personnes ».

« C'est une image dépassée du phénomène sectaire, avec des idées reçues qui résistent », explique Pascale Duval, porte-parole de l'Unadfi. Cette vision, correspondant aux faits d'actualité marquants qui ont jalonné les années soixante-dix, quatre-vingt et quatre-vingt-dix en France, ne tient pas compte de la mutation du phénomène sectaire. Une mutation qui concerne à la fois les biais de recrutement et les moyens d'emprise, qui passent beaucoup aujourd'hui par Internet – les réseaux sociaux –, et les domaines concernés par ces dérives, moins spirituels, mais davantage liés à la santé, à l'alimentation ou au développement personnel.

L'emprise, phénomène connu des Français

« Il semble néanmoins que les Français connaissent bien la notion d'emprise. Le sondage montre qu'ils ont bien compris qu’on caractérisait une emprise sectaire principalement par la rupture avec la famille et son entourage », explique Pascale Duval à Marianne. En effet, 71 % des Français placent comme élément caractéristique de la dérive sectaire « la rupture avec l’entourage et la famille, l’adhésion inconditionnelle à une théorie ou la rupture avec ses valeurs ». Un signe, selon Pascale Duval, que le terrorisme islamiste et le phénomène complotiste, beaucoup moins confidentiel aujourd'hui, ont laissé des traces.

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« Beaucoup de Français connaissent désormais quelqu'un dans leur entourage familial ou amical qui adhère à ces théories conspirationnistes. Et c’est parce qu'ils y ont été confrontés qu'ils ont vu comment certains basculent dans l'emprise. » L'étude montre en effet une bonne connaissance du conspirationnisme : 85 % des Français savent qu'il ne s'agit pas d'un phénomène nouveau et 61 % expliquent voir une certaine porosité entre dérives sectaires et théorie du complot.

Car si le conspirationnisme n'est pas toujours synonyme d'emprise sectaire, il en partage indéniablement certaines caractéristiques. « Parmi ces caractéristiques communes, vous avez notamment le fait qu'il n'y a pas de profil type », explique Pascale Duval. Plus d'un Français sur quatre a été exposé au phénomène sectaire, soit 26 % de la population. Et 14 % des Français déclarent connaître quelqu’un de leur entourage qui a été victime de dérives sectaires. Si les populations les plus touchées sont les 25-34 ans, particulièrement les travailleurs indépendants ou les employés, et les sympathisants de gauche, Pascale Duval rappelle que « tout le monde peut se retrouver sous emprise – classes populaires, moyennes ou supérieures, jeunes, actifs ou seniors ».

Les CSP + victimes du New Age

L'étude de l'Unadfi et Odoxa montre, à ce titre, une mauvaise perception de ces publics vulnérables et un « faux sentiment de sécurité chez les classes supérieures ». « On a la nette sensation que les personnes se sachant vulnérables sur le plan socio-économique se savent considérées comme des cibles potentielles et sont sur leurs gardes. » Et de fait, ces classes sont ciblées par des mouvements souvent religieux – sectes islamiques ou catholiques, églises évangéliques ultra-conservatrices… – qui se substituent aux services publics absents ou éloignés dans certains territoires.

« Dans la réalitéles classes socioprofessionnelles supérieures sont aujourd'hui les plus touchées, cibles de toutes les spiritualités New Age et des gourous du développement personnel », alerte la porte-parole. Le « New Age » est un ensemble de spiritualités nées au cours du XIXe siècle – anthroposophie, théosophie, chamanisme, spiritisme, etc. Quant au développement personnel, des enseignements à la scientificité contestable visant à mieux se connaître soi-même, il est en vogue aujourd'hui jusqu'au sein même de l'entreprise. « Dans ces deux domaines, les dérives sectaires pullulent et le public visé est beaucoup plus "CSP + ". Aujourd'hui, c'est le domaine le plus fertile en matière de dérives », prévient Pascale Duval.

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Autre angle mort du grand public sur ces questions : la santé. C'est aujourd'hui le domaine de préoccupation le plus important des acteurs de la lutte contre les dérives sectaires et de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. « On assiste à une recrudescence des propositions trompeuses et dangereuses qui peuvent séduire des personnes angoissées, fragilisées ou déstabilisées par la crise sanitaire », observait-elle dans son rapport 2018-2020.En 2020, 38 % des demandes adressées à la Miviludes concernaient le domaine de la santé et du bien-être.

Dernier point d'inquiétude : la méconnaissance quasi unanime des associations et organismes de vigilance et d'information sur le phénomène sectaire. La Miviludes, organisme public unique au monde créé au début des années 2000, n'est connue que de 2 % des Français interrogés par Odoxa. Et 92 % des Français sondés ne peuvent pas nommer une seule des associations qui travaillent sur le sujet. « C'est le signe que nous devons accentuer notre travail de pédagogie. Nous avons beaucoup visé les 15-25 ans et nous voyons aujourd'hui que parmi les publics les plus touchés se trouvent les 25-34 ans. C'est sur cette tranche d'âge que nous devons concentrer nos efforts. »

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne