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La crise du Covid a donné des ailes aux gourous de la santé et aux complotistes
Des huiles essentielles.
BSIP via AFP.

La crise du Covid a donné des ailes aux gourous de la santé et aux complotistes

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Dans son dernier rapport, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) rapporte une hausse importante des signalements concernant des pratiques pseudo-médicales. Les pseudo-thérapeutes ont profité de la crise sanitaire pour alpaguer les foules, avec Internet comme vecteur idéal de diffusion de leurs pratiques. En toile de fond, des théories conspirationnistes qui acquièrent une audience de plus en plus importante.

« Le coronavirus, si j’étais ministre de la Santé, ça serait réglé rapido. Bain froid et jeûne pour tout le monde, une petit peu de jus de carottes et vas-y que je t’envoie. » Cette recommandation de très haute volée a été formulée par le désormais bien connu Thierry Casasnovas, adepte d'une alimentation crudivore et du jeûne. Comme lui, d'autres pseudo-thérapeutes ont profité de la crise du Covid-19 pour recruter de nouveaux adeptes. Pour la première fois depuis 2018, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a publié ce 28 juillet le rapport d'étude compilant ses conclusions sur les trois années passées. Et parmi les points de vigilance, l'institution alerte sur l'augmentation des dérives liées à des pratiques pseudo-médicales relevant du charlatanisme.

« On assiste à une recrudescence des propositions trompeuses et dangereuses qui peuvent séduire des personnes angoissées, fragilisées ou déstabilisées par la crise sanitaire », observe-t-elle. En 2020, 414 signalements ont été adressés à la Miviludes concernant les pratiques pseudo-médicales complémentaires ou alternatives. Un chiffre qui ne comprend que les signalements adressés à la Miviludes mais représentatif de la réalité du terrain, selon les observateurs interrogés par Marianne.

Discours adapté au Covid-19

Il faut dire que l'année écoulée a été une formidable fenêtre d'opportunité pour les charlatans et gourous de la santé naturelle. Aujourd'hui, 38 % des demandes adressées à la Miviludes concernent le domaine de la santé, où un « intense marché s'est développé », note la Mission. Sur le terrain - ou plus précisément sur Internet - une galaxie de pseudo-thérapeutes s'est structurée, offrant un contre-discours virulent aux informations scientifiques et gouvernementales. « Ils ont pu transposer leur discours anti-science sur le Covid à un moment où l’attention du grand public sur les sujets liés à la santé était maximale », explique Cyril Vidal du collectif FakeMed, qui surveille et signale ces dérives. « Lors du premier confinement, ils ont gagné en notoriété, ont recruté de nouveaux abonnés. Pour la plupart d'entre eux, ça fait des années qu'ils portent le même discours sur la vaccination et sur d'autres pathologies. »

La Miviludes note que « la majorité des signalements sur le bien-être et la santé concernent Thierry Casasnovas », en raison de ses vidéos « sur le cancer et plus récemment sur la politique vaccinale ». Certains des témoignages recueillis par la Mission s'inquiètent de la propagation de l'idée « selon laquelle la médecine est mauvaise, et que suivre son régime serait la solution à toutes les maladies, en invoquant des raisons mystiques et en mentant ouvertement à ses spectateurs ». Un autre signalement déplore qu'un de ses proches, adepte des vidéos de Casasnovas, ait « insisté fortement pour que des gens de sa famille aillent se soigner chez un naturopathe plutôt que chez un professionnel de la santé ». La naturopathie consiste en un ensemble de pratiques non reconnues par la médecine parmi lesquelles le soin par les plantes, le jeûne, une certaine hygiène de vie, la pratique de certaines activités sportives ou méditatives.

Pratiques variées

« La crise a été favorable aux gens comme Thierry Casasnovas et d'autres pseudo-thérapeutes moins connus. Ils ont très rapidement surfé sur la peur du virus. Ça a été l'occasion de dire qu'il fallait reprendre sa vie en main, qu'il n'y avait rien à craindre de la maladie lorsqu'on est en bonne santé », explique Fiona, du collectif L'Extracteur qui surveille Casasnovas depuis trois ans. Sa doctrine est rudimentaire : quand on fait des jeûnes, qu'on mange cru et qu'on évite tout environnement stressant, il assure qu'on ne peut tout simplement pas tomber malade. « Ils pensent avoir inventé quelque chose de révolutionnaire mais personne ne les a attendus pour recommander de bien manger, bien dormir et d'éviter le stress », fait-elle remarquer. Derrière ce discours bien-être, le promoteur des jus de légumes déroule une violente critique de la médecine institutionnelle : « Thierry Casasnovas clame haut et fort que les maladies, notamment chroniques, n’existent pas, qu’elles sont créées de toutes pièces par les laboratoires pharmaceutiques pour vendre des médicaments », abonde Cyril Vidal.

Mais il n'y a pas que Casasnovas. « D'autres pratiques citées dans le rapport nous ont également inquiétés poursuit le président de FakeMed. Il y a le détournement de certaines pratiques qui ont fait leur preuve, comme l'hypnose par exemple, à des fins non scientifiques, ou le traitement de l'hyperélectrosensibilité. Certains praticiens font de l'argent en diagnostiquant les gens comme "hyperélectrosensibles" sans aucun appui scientifique. Ils dévient la prise en charge de ces patients qui sont réellement en souffrance. »

Défiance envers la science

Comment expliquer le succès de ces pseudo-médecines qui sont, rappelons-le, inefficaces, voire dangereuses ? Le contexte particulier de la crise sanitaire a renforcé deux des ingrédients nécessaires à la prolifération des dérives thérapeutiques : la défiance envers la médecine et l'angoisse de la maladie. « Je pense qu’il y a eu un effet de sidération très important au moment du premier confinement. Les gens ont horreur de l'inconnu : on avaitpeur parce qu’on ne connaissait pas encore la maladie, on était confinés chez nous devant l'ordinateur. De l'autre côté de l'écran, ces charlatans avaient un discours très rassurant et une solution à tout », analyse Fiona.

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Un effet accentué par les revirements et atermoiements du gouvernement sur les mesures et outils nécessaires pour venir à bout de la crise : masques inutiles puis obligatoires, jamais d'obligation vaccinale puis passe sanitaire obligatoire… « Ce type de mauvaise communication, c'est irrattrapable. Il ne manquait plus que l’arrivée d’un vaccin, de surcroît issu d’une nouvelle technologie, pour que la rhétorique anti-vaccination de ces naturopathes soit complètement validée », poursuit Fiona. D'autant que, dans cette galaxie des pseudo-thérapeutes, beaucoup étaient déjà farouchement opposés à la vaccination. « Les pincettes qu’a prises le gouvernement dans la mise en place de la vaccination au début de l'année, je crois que ça a alimenté la rhétorique de ces charlatans. Je pense que ça a eu l'effet inverse : on a tellement été prudents que les gens ont commencé à s’inquiéter. » Une inquiétude bien présente dans les groupes de conversation en ligne et utilisée par ces praticiens.

H1N1, la « première guerre »

Dans ce paysage psuedo-médical, on ne trouve pas que des nouveaux venus. Thierry Casasnovas est lui-même actif depuis une dizaine d'années, mais il constitue la relève d'une ancienne garde de la naturopathie et des théories alternatives sur la santé et le bien-être. Une ancienne garde qui a retrouvé de sa vitalité pendant la crise sanitaire. « Les anciens, ce sont des gens qui sont là depuis très longtemps, quinze, vingt ans, voire plus, explique Fiona du collectif l'Extracteur. Des gens comme Christian Tal Schaller, Jean-Jacques Crèvecoeur, Irène Grosjean… Leur discours d'opposition à la vaccination était déjà tout prêt puisqu'ils l'ont élaboré depuis des années. Certains étaient déjà actifs pendant la grippe H1N1, ils font référence à cet événement comme la "Première guerre". »

Les noms cités par Fiona apparaissent, en effet, régulièrement dans les rapports de la Miviludes et les associations de vigilance quant au risque sectaire avertissent depuis des années sur la dangerosité de leurs discours. « Ça a été très vite, dès le début de la crise : le discours était anti-médecine, anti-système, anti-Big Pharma, voire pour certains proches de Qanon, le groupe complotiste d'extrême droite américain. » Car au-delà des risques sur la santé des personnes décidant de recourir à ce type de traitements plutôt qu'à la médecine classique, au-delà même de la question cruciale de la vaccination contre le Covid-19, une convergence inattendue et inquiétante s'est opérée à la faveur du Covid-19

Convergence antisystème

Avant la crise sanitaire, le complotisme et les théories alternatives sur la santé étaient deux univers relativement étanches. « Aujourd'hui, on voit clairement une convergence entre les discours alternatifs sur la santé et toutes les grandes théories complotistes, déplore Fiona. C'est quelque chose qu'on n'avait pas du tout anticipé. » Il ne s'agit donc plus seulement d'une critique de Big Pharma - un terme employé pour désigner l'industrie pharmaceutique dans son ensemble - mais d'une rhétorique purement complotiste, voire ésotérique. « On a vu des choses hallucinantes dans certaines vidéos. Ces gourous ont beau être à la mode hippie, ça ne les empêche pas d'évoquer un complot pédosataniste. »

Une convergence opportuniste : certains de ces influenceurs complotistes ont profité de l'audience acquise pour se réunir dans des live diffusés en direct sur YouTube, additionnant ainsi leurs audiences respectives. « Leurs discours respectifs ne sont pas vraiment cohérents entre eux, mais leur convergence trouve sa source dans une défiance vis-à-vis du système dans sa totalité. » Critique de la médecine traditionnelle, dénonciation d'un complot des élites : « Aujourd'hui, ils n'ont plus de problème à basculer de l'un à l'autre », note Fiona.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne