Jean Jouzel : "Le capitalisme est incompatible avec la lutte contre le réchauffement climatique"

Jean Jouzel a été l'un des premiers chercheurs français à travailler sur le réchauffement climatique dès les années 1970. Il a été vice-président du groupe de travail sur les bases physiques du changement climatique au GIEC. En février dernier, il a reçu le prix  Vetlesen considéré comme l'équivalent du prix Nobel des sciences de la Terre.

Il a participé à un débat à l'université d'été du Medef, le 29 août 2023 à l’hippodrome de Longchamp. En compagnie, entre autres, de Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, et d’Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique. Il devait faire un état des lieux du lien entre le climat et les énergies, qui repose sur une somme de connaissances accumulées par la communauté scientifique depuis une cinquantaine d'années. Il a affirmé que "les combustibles fossiles étaient depuis 50 ans à l'origine des trois-quarts de l'augmentation de l'effet de serre qui, elle-même, était à l'origine de l'ensemble du réchauffement climatique que nous vivons".

Au sortir de cette rencontre, Jean Jouzel, climatologue directeur de recherche émérite au CEA et ancien vice-président du Giec, figure de la lutte contre le réchauffement climatique, s'est exprimé dans le journal Les Echos pour exprimer son étonnement et sa déception face à la réponse du PDG de TotalEnergies. Il a reçu un accueil glacial tant il rappelle lui-même dans La Terre au carré "que ça n'a suscité aucun intérêt du côté des entrepreneurs, qu'il s'agissait vraiment d'un dialogue de sourds entre les climatologues et celle 'des fossiles'".

"On a un problème de capitalisme"

Le climatologue confie qu'il espérait vraiment que le dernier rapport du GIEC ferait davantage bouger les lignes face aux enjeux de la surconsommation. Il rappelle que c'est la définition même du capitalisme qui pose problème aujourd'hui : "Je constate que cette transition nécessaire n'imprime pas suffisamment chez les patrons d'entreprise. On a un problème de capitalisme. Le capitalisme tel qu'on le vit actuellement n'est pas compatible avec la lutte contre le réchauffement climatique. C'est vraiment un changement profond de mode de société auquel j'appelle. Si on reste dans le même cadre d'organisation de nos sociétés, je crains qu'on n'y arrive pas".

"C'est l'ensemble de la société qui doit se mobiliser"

Cela fait de nombreuses années, depuis les premiers rapports du GIEC, que la communauté scientifique peine à se faire entendre. Mathieu Vidard a demandé au climatologue ce qu'il fallait imaginer aujourd'hui pour faire comprendre l'urgence de la situation, non seulement aux décideurs, mais aussi aux citoyens : "On a du mal à faire comprendre que ce qu'on va faire entre aujourd'hui et 2030 va largement décider du climat de la deuxième partie de ce siècle. En tant que scientifique, je ne suis pas sûr qu'on puisse faire beaucoup plus. Le fossé n'est pas entre la loi, qui s'appuie sur le diagnostic des scientifiques, et le diagnostic des scientifiques, mais entre la loi et la réalité. C'est plus un travail de citoyens. En cela, je comprends l'activisme parce que chacun doit s'exprimer et c'est tout à fait légitime. C'est une bonne façon de s'exprimer. C'est aussi l'ensemble de la société qui doit se mobiliser".

"Climat et croissance, deux réalités incompatibles"

Ce 4 septembre 2023, une étude publiée dans la revue Lancet Planetary Health concernant le climat et la croissance, menée par des chercheurs anglais et espagnols constatait que "le climat et la croissance étaient incompatibles". C'est aussi une réalité pour Jean Jouzel : "C'est pour cela que je ne parle ni de croissance ni de décroissance, mais de dynamisme économique, car pour réaliser des transitions, il faut continuer à inventer certes, mais dans un objectif de neutralité carbone. Un dynamisme économique peut s'organiser autour de cette transition à condition qu'il repose sur une solidarité entre pays, sans quoi nous n'y arriverons pas. On refuse de constater que cette transition représente une opportunité pour l'Europe en termes d'activités économiques. Si le capitalisme actuel n'est pas réformé, je crains que nous ne réussissions pas à prendre la maîtrise du réchauffement climatique. C'est vraiment un problème global de société qui demande à ce que, parallèlement, nous regardions globalement nos comportements, et que nous cultivions une certaine sagesse à l'égard de notre qualité de vie. Ce que nous vivons aujourd'hui, c'est en toute petite dimension, ce que vivront les jeunes d'aujourd'hui si on n'y fait pas attention".

📖 "Climat, Itinéraire d’un pionnier" de Jean Jouzel et Paul Goupil (Ed Ouest France).

► La suite à écouter…

Les cours d'écoles se végétalisent

Alors que la semaine de rentrée des classes se passe sous 35° C dans la presque totalité du pays, et que les canicules se multiplient de plus en plus sous l’effet du changement climatique, les écoles doivent s’adapter. Depuis quelques années, les cours de récréation font l’objet d’une attention toute particulière : traditionnellement bitumée, il y fait de plus en plus chaud. Leur végétalisation est donc une solution pour améliorer les conditions de vie à l’école : confort thermique, meilleures conditions d’apprentissage, reconnexion des enfants à la nature... Ces initiatives se multiplient de plus en plus sur tout le territoire, puisque la végétalisation des cours permet aux villes de créer des îlots de fraîcheur indispensables pour l’adaptation au changement climatique. À Paris, les cours dites Oasis sont devenues une référence en la matière, et les retours sont très positifs.

Invitée : Laurence Duffort, directrice du CAUE de Paris (Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement)